Si vous pensiez que l'indépendance de la justice était une question de principes solides et d'illustres textes constitutionnels, détrompez-vous. Au Gabon, cette noble cause semble être un peu plus éthérée qu’on ne le pense, et cela a été mis en lumière lors de l'assemblée générale du Syndicat national des magistrats du Gabon (Synamag), vendredi dernier. Un événement où, comme toujours, les magistrats se sont rassemblés pour discuter de leurs conditions de travail et par "conditions de travail", l’on entend une réalité qui ferait frémir n'importe quel travailleur du secteur privé, ou même un fonctionnaire du secteur public, si ce n'était pas si tragiquement comique.
Le président du Synamag, Landry Abaga Essono, élu tout récemment, n'a pas hésité à soulever le point brûlant de la journée : la "véritable" indépendance de la justice. Une indépendance qui, selon lui, ressemble davantage à une illusion ou à une mauvaise blague, au choix. "Les magistrats sont toujours placés sous l'autorité du ministre de la Justice, qui fait partie du gouvernement. Où est l'indépendance dans tout ça ?", a-t-il ironisé. Eh bien, cher Landry, elle est manifestement dans un tiroir quelque part, accompagné d'un "à bientôt" du ministre qui distribue les ordres avec la régularité d’un directeur d’école.
Si, dans la Constitution de 1991, la justice était censée être indépendante du pouvoir exécutif et législatif, il semblerait que la réalité judiciaire gabonaise soit moins constituante et plus exécutive. On pourrait presque dire que la justice au Gabon a été "réformée" pour faire office de décoration dans les couloirs du ministère de la Justice. Le ministre reste là, tout-puissant, distribuant les bonnes volontés et l'influence, tandis que les juges, eux, courbent l’échine sous la pression d'une "indépendance" qu’ils sont censés incarner. Le paradoxe est flagrant et résolument non résolu.
Mais ne croyez pas que le président du Synamag se contente de dénoncer cette farce institutionnelle. Non, il va plus loin. Il parle de l’arsenal matériel qui accompagne cette "indépendance" fictive. Dans un élan presque poétique, il fustige les conditions de travail des magistrats, trop souvent confinés à des bureaux poussiéreux, à des infrastructures vétustes et à un matériel digne des premiers jours de l’informatique. C’est un peu comme demander à un chirurgien de réaliser une opération délicate avec une paire de ciseaux de cuisine et une lampe de poche.
"Les juges n’ont que leur rémunération pour survivre", a ajouté le président, dans une remarque qui frôle le surréalisme. Parce que, bien sûr, il n’est pas question de demander des équipements ou des moyens supplémentaires. Ce n'est pas le gouvernement qui va dépenser pour une justice digne de ce nom. Non, le ministre, tout à son rôle dans l’exécutif, semble penser que les magistrats doivent travailler sur la base de leur propre générosité – ou de leur imagination. C’est un peu comme si on demandait à un artiste d’exposer une œuvre d’art sans pinceaux ni toiles, mais juste avec un peu de créativité et une touche de courage.
Quant à la question des frais de procédure, le président du Synamag a pris soin de mentionner qu’une répartition juste des coûts serait bienvenue. Mais bon, n’est-ce pas là encore une utopie ? Qui a réellement intérêt à voir une justice se financer de manière juste et équitable quand une grosse partie du gâteau reste à couper entre les mains du ministère, qui distribue les miettes avec une générosité toute relative ?
Le Synamag a placé ses attentes bien hautes, mais à la lumière de la réalité, il semble que l’indépendance judiciaire au Gabon soit une notion aussi floue qu’un mirage dans le désert. Si la justice devait se libérer des chaînes de l’exécutif, elle aurait probablement besoin de plus que des appels en assemblée générale. Il lui faudrait une réforme en profondeur, du financement, des infrastructures et surtout un ministre prêt à jouer son rôle... mais peut-être que tout cela est encore trop complexe pour les tiroirs du ministère.
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