Le Gabon s'apprête à écrire une nouvelle page de son histoire minière. Dans un contexte international de plus en plus tendu sur le contrôle des ressources stratégiques, le Président de la Transition a annoncé une réforme progressive et assumée : réduire la dépendance vis-à-vis des opérateurs étrangers dans l’exploitation du manganèse, en particulier face à Comilog et son actionnaire principal, le groupe français Eramet.
Un projet de souveraineté économique
Selon les grandes lignes dévoilées, la stratégie gabonaise repose sur une montée en puissance progressive : renforcement des lois minières, prises de participation accrues dans Comilog, création d'une holding nationale dédiée, développement massif de la transformation locale et diversification des partenaires commerciaux au-delà de l'Europe.
« Ce que nous engageons, ce n'est pas une nationalisation brutale mais une reconquête économique intelligente », a déclaré un haut responsable du Ministère des Mines, sous couvert d'anonymat. Avec un objectif ambitieux : contrôler d’ici 2035 près de 90 % de l'exploitation du manganèse national et transformer au moins 50 % de la production sur le sol gabonais.
Le pari de l’industrie nationale
Le projet inclut la création d'une société publique spécialisée, la Gabon Manganèse Corporation (GMC), destinée à piloter cette montée en autonomie. À terme, de nouveaux sites miniers 100 % gabonais, en dehors du traditionnel bassin de Moanda, devraient voir le jour.
Au-delà de l'exploitation brute, le Gabon veut désormais capter la valeur ajoutée en développant des unités locales de transformation production de briquettes de manganèse, et demain, fabrication de batteries électriques, secteur en plein essor mondial.
Analyse critique : un chemin étroit entre ambition et risques
Pourtant, derrière cet élan de souveraineté, les défis sont immenses. Le groupe Eramet, poids lourd français du secteur, pourrait contester certaines décisions devant des juridictions internationales, notamment en cas de modification unilatérale des contrats ou de rachat forcé d’actifs.
De plus, la transition industrielle nécessaire pour transformer le manganèse localement suppose des investissements colossaux en formation, en infrastructures et en technologies. À ce jour, le Gabon ne dispose ni d'une main-d’œuvre minière totalement autonome ni d’une base industrielle suffisante pour soutenir seul une telle ambition.
« Le risque majeur, c'est de vouloir courir avant de savoir marcher », souligne un analyste du cabinet Mining Perspectives Africa. « Sans transferts massifs de compétences et sans alliances technologiques solides, il sera difficile d'assurer une montée en puissance sans heurts. »
Sur le plan diplomatique également, Libreville devra naviguer habilement. La France, partenaire historique, pourrait voir d'un très mauvais œil une marginalisation de ses intérêts miniers, tandis que des puissances comme la Chine, l'Inde ou le Brésil pourraient être tentées d'avancer leurs pions.
Un test pour la vision économique du nouveau Gabon
La nationalisation progressive du manganèse est, en réalité, un test grandeur nature de la capacité du Gabon à rompre avec un modèle extractif hérité de la Françafrique, sans précipiter une crise de confiance chez les investisseurs étrangers.
Réussir ce pari signifierait non seulement tripler les revenus de l'État d’ici 10 ans, mais aussi repositionner le Gabon comme un acteur industriel incontournable dans l'économie verte mondiale. Échouer, en revanche, exposerait le pays à une fuite des capitaux, à des litiges internationaux et à un ralentissement brutal de son industrie minière. Le compte à rebours est lancé.
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