Le 9 décembre dernier, le Gabon, fidèle à son rituel annuel, a célébré la Journée internationale de lutte contre la corruption sous le thème « La lutte contre la corruption et l’enrichissement illicite dans le secteur des transports ». Un thème tout à fait pertinent, d'autant plus que ce secteur est depuis longtemps un terrain de jeu privilégié pour les pratiques illicites. Mais à écouter les discours officiels et les promesses répétées, on pourrait se demander si le véritable objectif n'est pas de perpétuer ce système où la corruption est aussi bien un mode de gouvernance qu'une pratique quotidienne. Le Gabon semble plus enclin à fêter la corruption qu’à la combattre.
Dans son allocution, Raymond Ndong Sima, le Premier ministre, a appelé à « la mobilisation des ressources humaines et financières pour inverser la tendance ». Une phrase qu'on aurait pu entendre il y a dix, voire vingt ans. L'idée qu'un simple changement de discours puisse inverser des décennies de pratiques bien ancrées dans les rouages de l'administration gabonaise relève presque du fantasme. Mais le Premier ministre, comme tout bon acteur politique, sait que le public aime entendre des paroles rassurantes. Il a donc martelé que des « contrôles renforcés » et une « rigueur accrue » seraient la clé du problème. Cela sonne comme une vieille rengaine, une mélodie familière que l’on entend chaque année sans jamais voir les effets sur le terrain. La rigueur dans les procédures ? L’exécution des réformes ? Un détail, tant que tout le monde a sa part du gâteau.
Pendant ce temps, les Gabonais se contentent d’un quotidien où il est impossible de faire avancer le moindre dossier sans « gratifier » un agent public, où la corruption se fait même plus discrète dans les coins de rue, comme un mal nécessaire. La police, la gendarmerie, les inspecteurs des transports… Tous ont leurs petites pratiques. Les « petits gestes » des fonctionnaires, les billets glissés sous la table, les bribes de cash échangées contre un permis de conduire, ou mieux encore, une place en avion, sont devenus les véritables moteurs de l’économie informelle du pays. Quand un système est devenu aussi enraciné, prétendre que l’on va le déraciner avec quelques déclarations solennelles relève de l’absurde.
Nestor Mbou, président de la commission en charge de la lutte contre la corruption, a fait un pas de plus dans la comédie en soulignant le lien entre corruption et inefficacité dans le secteur des transports. « Tolérer des situations dangereuses pour un bénéfice personnel », a-t-il affirmé, « met en péril la vie de nos concitoyens ». On en rirait presque si ce n'était pas aussi tragique. Qui est-ce qui tolère ces pratiques ? Les mêmes qui font semblant de s’indigner et qui prônent la transparence tout en nourrissant ce système. Le lien entre inefficacité et corruption dans les transports n’est pas un secret. Permis de conduire délivrés sans examen, licences maritimes ou aériennes accordées à la va-vite, autorisations de transport octroyées sans respect des normes de sécurité… Tout cela fait partie du folklore local. Mais au fond, qui se soucie vraiment des vies humaines quand il s'agit de partager le butin ?
L’absurdité atteint son paroxysme lorsque la question de la cartographie des risques dans le secteur des transports est abordée. La transparence, la lutte contre la corruption, les contrôles renforcés… Autant de formules qui n’ont de sens que sur le papier. En pratique, tout le monde semble jouer à un grand jeu de dupes. Un système de pots-de-vin bien huilé, où chaque acteur sait exactement ce qu’il doit faire pour contourner les règles et en sortir gagnant. Ce n’est pas de la naïveté, mais de la complicité.
Les citoyens, eux, sont invités à participer à cette grande mascarade en dénonçant les abus. Mais qui parmi eux oserait vraiment le faire, sachant que celui qui dénonce est souvent celui qui se retrouve victime d’une vengeance administrative ou policière ? Dans un environnement aussi pourri, dénoncer devient un acte de folie, et les dénonciateurs se transforment bien souvent en boucs émissaires. La transparence à la gabonaise : un concept qui n’a jamais vu le jour, et pour cause.
En fin de compte, cette journée de lutte contre la corruption n’est qu’une farce de plus, une performance théâtrale où tous les acteurs jouent leur rôle à la perfection. Le public applaudit, mais personne ne semble dupe. Le Gabon, ce laboratoire de la corruption institutionnalisée, continue de tourner en rond. Les discours se succèdent, les promesses s’enchaînent, mais au fond, tout le monde sait que la lutte contre la corruption au Gabon est avant tout un business, où les vrais gagnants ne sont pas ceux qui prétendent lutter contre le mal, mais ceux qui en tirent profit.
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