Au Gabon, où la démocratie est souvent vantée comme une conquête nationale, une catégorie de citoyens semble avoir été oubliée : les détenus. Privés de liberté, et apparemment aussi de leur voix, ces citoyens fantômes continuent d'alimenter une question qui embarrasse : pourquoi l'État refuse-t-il obstinément de leur accorder le droit de vote ? La réponse, tout aussi silencieuse que les urnes des prisons, pourrait en dire long sur les craintes du pouvoir.
La Constitution gabonaise, magnifiquement révisée pour "placer l’humain au cœur des préoccupations", semble avoir sauté une ligne. Oui, les détenus sont des citoyens. Oui, ils paient leurs impôts (du moins indirectement). Mais leur droit de voter, lui, reste dans les limbes. En clair, on leur rappelle qu’ils doivent obéir à la loi, mais qu’ils ne peuvent pas participer à sa construction. Ironie, vous dites ?
De quoi l’État a-t-il peur ?
La vraie question est là. Pourquoi un État, sûr de sa popularité, craint-il le vote de quelques milliers de prisonniers ? Est-ce parce que les urnes en milieu carcéral risqueraient de renvoyer une image peu flatteuse ? Imaginez : un score national triomphal... mais un raz-de-marée d'opposition chez les détenus. Le pouvoir aurait-il peur d’un tel affront ?
Et puis, il y a cette idée persistante que les détenus, souvent enfermés pour des délits mineurs ou des erreurs judiciaires discutables, pourraient voter contre ceux qui incarnent leur "malheur institutionnalisé". Alors on les prive de bulletins, par précaution, bien sûr.
Les excuses vraiment crédibles ?
Quand on évoque la question, l’argument est toujours le même : "C’est compliqué." Ah, la logistique, cet ennemi juré des bonnes intentions ! Pourtant, des pays comme le Canada, l’Afrique du Sud ou même le Kenya organisent des scrutins en prison sans que leurs États ne s’effondrent. Mais au Gabon, la complexité semble insurmontable. Trop de prisons, pas assez de stylos ? Ou alors, serait-ce simplement un manque de volonté ?
Au-delà de la logistique, il y a une réalité politique crue : le détenu représente ce que le système préfère ignorer. En lui refusant le droit de vote, on lui refuse sa place dans la société. On le marginalise doublement, comme si l’enfermement physique ne suffisait pas. Ce silence imposé est une forme de contrôle : pas de voix, pas de problème.
Mais attention, chers décideurs, les voix muselées finissent toujours par trouver d’autres moyens de se faire entendre. Et si l’histoire a prouvé une chose, c’est que les révolutions commencent souvent là où on ne les attend pas.
Et si on osait ?
Finalement, que risque-t-on à permettre aux détenus de voter ? Rien de plus qu’un peu de démocratie, un peu de justice. Peut-être que leurs votes rappelleraient aux autorités que ces citoyens, bien que derrière les barreaux, ont encore un rôle à jouer. Ou peut-être que cela prouverait que le Gabon est prêt à affronter ses propres paradoxes, à dépasser ses peurs et à avancer, vraiment, vers une démocratie inclusive. Alors, qu’attendons-nous ? Une énième révision constitutionnelle ? Une consultation nationale ? Ou simplement un sursaut de courage ?
Le droit de vote des détenus n’est pas qu’une question juridique ou logistique. C’est une affaire de principe, un test de sincérité pour un État qui se veut garant des droits humains. Et, qui sait, peut-être que dans ces urnes carcérales se cache le souffle d’une vraie démocratie. Mais pour ça, il faudrait arrêter d’avoir peur des bulletins.
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