Michel Ongoundou Loundah, Président de REAGIR
Retrouvé mort dans sa chambre à Toulouse en France, la mort du jeune étudiant gabonais, Evrard Mapola Nzinga, continue de susciter l’indignation des gabonais dont nombreux ont tenu à se prononcer pour manifester leur regret et mécontentement. C'est le cas de Michel Ongoundou Loundah, président de REAGIR, par ailleurs sénateur de la transition dont nous publions In extenso le contenu de la déclaration.
Il est des faits divers qui ne devraient jamais dépasser le simple stade de la tristesse. Pourtant, au Gabon, ils finissent toujours par devenir des diagnostics d’État. L’histoire d’Evrard Mapola Nzinga, jeune étudiant gabonais retrouvé mort dans sa chambre à Toulouse, en fait partie. Elle dit quelque chose de nous, de nos institutions, de notre capacité, ou plutôt, de notre incapacité à protéger ceux qui partent avec l’espoir d’un avenir meilleur.
Evrard vivait en colocation, étudiait l’ingénierie, faisait ce que tant de jeunes Gabonais font chaque année : tenter de s’arracher à un horizon trop bas pour leurs ambitions. Lorsqu’il ne répond plus aux messages, un colocataire s’inquiète. La sœur alerte. Le frère se déplace. Et c’est lui qui découvre la réalité, brutale, injuste, insupportable.
À ce moment précis, la famille se retrouve seule. Seule pour encaisser. Seule pour comprendre. Et seule pour payer. Le rapatriement d’un corps, ce n’est pas seulement une douleur, c’est aussi un devis. Une facture que beaucoup de familles gabonaises ne peuvent tout simplement pas assumer. Alors on lance une cagnotte, on espère des dons, on remercie ceux qui partagent le lien. On supplie, poliment, dignement, mais on supplie quand même.
Et pendant ce temps, que fait l’État ? Chez d’autres, l’Etat c’est la structure solide qu’on appelle en dernier recours. Au Gabon, c’est un monstre froid qui disparaît toujours mystérieusement quand il s'agit d’assumer ses responsabilités régaliennes, mais qui revient au moment où l’addition est déjà réglée par quelqu’un d’autre.
Le drame de Toulouse n’est donc malheureusement pas une exception. Il tombe dans un pays où, depuis des années, les étudiants gabonais à l’étranger alertent sur l’absence de paiement de leurs bourses. Une absence devenue routine, presque tradition nationale, qui vient s’ajouter à la précarité, aux démolitions de maisons, à l’angoisse quotidienne de savoir comment payer son loyer, ses transports, sa nourriture, ses inscriptions. Une précarité qui parfois tue à petit feu.
Et lorsque, le 14 novembre dernier, les sénateurs interrogent Michel Régis Onanga Ndiaye, à l’époque ministre des Affaires étrangères, sur la situation de ces étudiants abandonnés, sa réponse est d’une honnêteté presque déconcertante. « Oui, dit-il, tout le monde est au courant, l’ANBG, les ministères concernés, absolument tout le monde ». Or, il se trouve que personne ne fait rien. Comme si la gestion publique était un exercice facultatif.
On en arrive alors à cette absurdité nationale où Monsieur le ministre explique très sérieusement aux parlementaires que si les étudiants gabonais en détresse ont pu manger, se loger ou même être rapatriés, c’est parce que le président, en voyage à Cuba ou ailleurs, a mis la main dans son portefeuille personnel pour régler des situations humanitaires. Voilà donc un chef d’État qui, faute de République en état de marche, évolue en mécène improvisé.
Et c’est là qu’on touche au cœur de notre paradoxe : heureusement que nous avons un président riche. Parce que visiblement ce pays ne peut fonctionner que si son chef peut sortir sa carte bancaire entre deux conférences internationales. Imaginez un instant que nous ayons eu un président pauvre. Pas symboliquement pauvre. Matériellement pauvre. À la manière de l’ancien président uruguayen José Mujica, qui vivait dans sa ferme, conduisait lui-même sa vieille Coccinelle et n’avait gardé que son salaire d’ancien maire. Imaginez le Gabon avec un président comme ça : nous serions peut-être tous en train de faire la queue au guichet pour lui prêter de quoi renflouer l’ANBG. C'est à dire à quel point le système est bancal.
Ce dont notre pays a véritablement besoin, ce ne sont pas des chèques personnels signés au détour d’une visite d’État, mais des institutions qui fonctionnent. Le peuple veut d’un État qui anticipe, qui contrôle, qui sanctionne, qui se souvient que les Gabonais vivant hors du Gabon sont aussi citoyens, pas des options budgétaires.
Alors oui, la mort d’Evrard Mapola Nzinga est une tragédie personnelle, familiale, humaine. Mais elle est aussi un rappel brutal de ce que nous sommes devenus : un pays si riche de ressources, si pauvre de mécanismes, si incapable de transformer son opulence en service public élémentaire.
Un pays riche où les boursiers vivent comme des clandestins.
Un pays riche où les familles endeuillées mendient pour rapatrier leurs morts.
Un pays riche qui n’a plus que son président comme bailleur de fonds informel.
Un pays riche, mais pauvre.
Pauvre par les mentalités parfois rétrogrades de dirigeants qui, au fil des années, ont abaissé, voire abîmé les fonctions les plus prestigieuses de l'Etat. Présidents d'institutions, membres du gouvernement, parlementaires, hauts magistrats, officiers supérieurs et généraux, tous ont vu leur prestige et leur respectabilité sombrer dans la déchéance.
Gabon, pauvre pays riche !
Ce n’est pas un slogan. Mais un constat. Une épitaphe nationale.
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