Il fallait y penser ! Puisque les prisons débordent et que les champs sont vides, le gouvernement a trouvé la formule magique : envoyer les prisonniers au champ. C’est simple, c’est économique, et ça flatte le patriotisme : le détenu, nouveau héros de la souveraineté alimentaire. Finie l’époque où les détenus tuaient le temps à jouer aux cartes avec l’argent du contribuable. Désormais, ils tueront… les mauvaises herbes. Le Général Brice Clotaire Oligui Nguema a sorti la pioche du bon sens : si la nation manque de vivres, autant cultiver les vivants.
Et franchement, il y avait urgence. Parce que voir des milliers de bras valides végéter en prison pendant que le pays importe encore des oignons du Maroc et du riz d’Asie, c’était aussi absurde que de garder des poissons dans une baignoire pendant qu’on crie famine à la rivière. « Quand le champ est grand et les bras nombreux, seuls les paresseux laissent le manioc sécher sur pied », dit un vieux proverbe fang. Le message est clair : même derrière les barreaux, on peut manier la houe.
Le Gabon, champion des plans agricoles sans récolte, vient peut-être enfin de trouver la bonne semence : celle du travail utile. On a connu des réformes qui sentaient le discours creux, celle-ci sent au moins la terre rouge et la sueur. Et au fond, c’est déjà un progrès : dans un pays où certains ministères cultivent surtout des rapports en PowerPoint, voir des prisonniers cultiver du maïs, c’est presque une métaphore du réveil national.
Mais attention : que les âmes sensibles se rassurent. Il ne s’agit pas de réinventer Cayenne version tropiques. Non, ici, le détenu devient « partenaire du développement ». Une sorte de stagiaire agricole de la République, payé en dignité retrouvée. On imagine déjà le slogan sur les pancartes : « Du bagne au bananier : la réinsertion en action ! »
Car soyons honnêtes : la prison, jusqu’ici, c’était surtout une école du désœuvrement. On y entrait oisif, on en sortait dangereux. À force de ne rien faire, on finissait par ruminer la colère. Alors autant ruminer les champs. Et puis, comme le dit un adage bantou : « Celui qui sème sous le soleil oublie plus vite ses fautes que celui qui compte les barreaux de sa cellule. »
Sur le plan économique, le calcul est futé. Au lieu de nourrir des prisonniers improductifs, l’État en fera des producteurs. Moins de riz importé, plus de manioc local et une fierté nationale retrouvée. Sur le plan politique, c’est du génie : transformer la punition en production, la sanction en solution, et la prison en plantation. Reste à espérer que le projet tienne la route et que les gardiens ne deviennent pas les premiers « chefs de coopérative » sans compétence. Parce qu’au Gabon, on sait cultiver beaucoup de choses… sauf parfois la rigueur.
Mais si le pari est tenu, le pays y gagnera gros. Et qui sait ? Peut-être que la prochaine moisson portera un nom poétique : « Riz de la rédemption », « Maïs de la morale », ou « Tomates de la transformation nationale ». Car, après tout, « même le prisonnier qui sème la bonne graine finit toujours par récolter la liberté ». Et ça, c’est bien plus nourrissant qu’un simple discours politique.
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