L’intervention de Christel Bories, présidente-directrice générale du groupe Eramet, sur plusieurs plateaux médiatiques français ces dernières semaines, n’a pas manqué de faire réagir à Libreville. Derrière un discours feutré et teinté de réalisme industriel, c’est une vision condescendante, voire méprisante, de la capacité du Gabon à prendre son destin économique en main qui s’est exprimée. Pour nombre d’observateurs, ses propos traduisent un refus à peine voilé d’accepter la légitime ambition d’un pays producteur de tirer davantage profit de ses ressources naturelles.
Une lecture paternaliste de la souveraineté gabonaise
Sans jamais le dire frontalement, la patronne du groupe minier a laissé entendre que le Gabon n’aurait ni les compétences, ni les infrastructures, ni le cadre adéquat pour envisager sérieusement une transformation locale de son manganèse. Une façon à peine masquée de disqualifier les velléités industrielles de Libreville, pourtant fondées sur une volonté affichée de rupture avec le modèle extractiviste hérité de la Françafrique.
Ce discours, au ton technocratique, occulte une réalité pourtant incontournable : l’époque où les multinationales dictaient seules les règles du jeu est révolue. Désormais, les États africains entendent à juste titre participer pleinement à la création de valeur, et ne plus se contenter de fournir des matières premières brutes pour des chaînes industrielles localisées ailleurs.
Un mépris des dynamiques africaines contemporaines
L’Afrique n’est plus cette entité passive qu’on instrumentalise au gré des cours des matières premières. Le Gabon, comme d’autres pays du continent, souhaite industrialiser, structurer des filières locales et capter une partie significative de la richesse issue de son sous-sol. Le nier ou le minimiser, c’est ignorer l’évolution géopolitique du secteur minier où l’exigence de souveraineté économique est devenue centrale.
De nombreux pays, du Botswana à l’Indonésie, ont engagé cette mutation, souvent avec succès. Pourquoi le Gabon en serait-il incapable ? Est-ce une question de compétence ou une peur de perdre le monopole d’un modèle qui a si bien profité à certains ? Le doute est permis.
Une opportunité de repositionnement pour Libreville
L’attitude d’Eramet pourrait se révéler contre-productive. Car au lieu d’engager un dialogue constructif, la direction du groupe semble camper sur une posture défensive, voire arrogante. Pourtant, le contexte mondial impose une coopération intelligente : le besoin de métaux critiques, la pression pour des chaînes d’approvisionnement responsables, la quête de souveraineté énergétique des grandes puissances, tout milite en faveur de partenariats plus équilibrés.
Libreville ne demande pas la charité ni la complaisance, mais le respect. Le respect de son projet industriel, de sa jeunesse formée, de ses aspirations à ne plus être simple spectatrice du marché mondial, mais actrice à part entière. En cela, la PDG d’Eramet a manqué une occasion : celle d’apparaître non plus comme une héritière d’un système obsolète, mais comme une partenaire d’un avenir commun à co-construire.
Une bataille d’image et d’influence
En définitive, les propos de Christel Bories illustrent un affrontement plus large : celui entre un capitalisme extractif figé dans ses certitudes, et une Afrique décidée à ne plus être dépossédée de sa richesse. Le Gabon a changé, son peuple aussi. Il faudra que ses partenaires économiques s’y fassent ou qu’ils cèdent la place à ceux qui sauront écouter et comprendre.
Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs marqués * sont obligatoires