IMG-LOGO
Accueil Article Recrutement fantôme à l’ANAC : le bal de la confusion administrative
Société

Recrutement fantôme à l’ANAC : le bal de la confusion administrative

IMG L' Aéroport de Libreville.

Deux ans d’attente, zéro décollage, et des jeunes cloués au sol par la plus lente des bureaucraties. Ce qui devait être un recrutement historique pour former des pilotes et mécaniciens d’hélicoptères gabonais s’est transformé en un chef-d’œuvre de confusion administrative, où promesses et contradictions s’entrechoquent à la vitesse d’un avion sans pilote.

 

Tout commence en mars 2024. L’Agence Nationale de l’Aviation Civile (ANAC) lance en grande pompe, sur ses pages officielles, un appel à candidatures destiné à de jeunes Gabonais de 18 à 25 ans, titulaires d’un baccalauréat scientifique ou technologique.

 

L’opération est présentée comme une opportunité rare : former les futurs pilotes et mécaniciens d’hélicoptères du pays. Les jeunes y croient. Les parents s’endettent pour préparer les dossiers. Des centaines de candidatures sont déposées à la Direction de la Navigabilité, à l’aéroport Léon-Mba.

 

Un communiqué officiel précise que “la commission multisectorielle chargée de l’examen des dossiers rendra ses résultats prochainement.” Sauf que ce “prochainement” dure maintenant depuis deux ans, et personne, pas même le vent du tarmac, n’a vu la couleur d’un résultat. “Quand la promesse dort plus longtemps que la saison sèche, il faut savoir qu’elle ne se réveillera plus.”, dit un proverbe bantou.

 

 Janvier 2025 : le DG promet des dossiers « sur sa table »

Lors d’une rencontre avec les candidats, le Général de division Éric Tristan Franck Moussavou, directeur général de l’ANAC, assure que les dossiers sont “bien sur sa table”. Mais quelques mois plus tard, quand les familles reviennent à la charge, l’homme change de cap : « Ce n’était pas un recrutement, mais un recensement. »

 

Un atterrissage verbal d’urgence qui fait éclater la colère.

Car dans les archives numériques de l’ANAC, le mot “recrutement” figure noir sur blanc. Et sur le terrain, tout s’est déroulé comme un véritable processus de sélection : Appel à candidatures, dépôt de dossiers, vérification des pièces, enquêtes de moralité au B2, avec convocations officielles. Difficile de croire à un simple “recensement” quand tant de procédures étatiques ont été déclenchées. Un parent lâche, amer : « Quand un éléphant dit qu’il n’a jamais marché, il suffit de regarder les traces sur la boue. »

 

Selon nos sources internes, plusieurs directions de l’ANAC auraient été divisées sur la nature réelle du projet. Certains cadres affirment qu’il s’agissait d’un programme conjoint entre l’ANAC, le ministère des Transports, et la Défense nationale, visant à constituer une réserve de futurs techniciens aéronautiques pour les besoins civils et militaires.

 

Mais entre les ambitions et la réalité budgétaire, le dossier aurait vite viré au pilotage à vue. Aucun financement clair, aucune convention de partenariat signée, et encore moins de plan de formation validé par le Trésor public. Résultat : le projet s’est écrasé sur le mur du manque de coordination.

Un cadre, sous couvert d’anonymat, confie : « Le problème, c’est que chacun voulait piloter le dossier. Le ministère des Transports disait : c’est nous. La Défense disait : c’est stratégique. Et au final, personne n’a mis le carburant. » Et dans cette cacophonie, la jeunesse gabonaise sert, une fois de plus, de passager sans billet.

 

L’argent du ciel : des fonds annoncés, introuvables

Ce qui intrigue les observateurs, c’est la disparition des fonds alloués à cette opération. Plusieurs sources proches du dossier évoquent un budget initialement prévu pour couvrir la présélection et la formation à l’étranger, probablement en Afrique du Sud ou au Maroc, pays partenaires du Gabon dans le domaine aéronautique.

 

Mais entre les annonces et les bilans, un trou d’air : aucun rapport financier, aucune trace d’un décaissement, ni audit public.  situation qui laisse planer un sérieux doute sur la destination réelle des crédits. “Quand le mil disparaît du grenier, le rat n’est pas toujours celui qu’on croit.”, ironise un ancien agent de l’aviation civile.

 

Le jeu de la responsabilité : tout le monde, sauf moi

Le dossier est désormais un chef-d’œuvre d’irresponsabilité partagée. Le ministère des Transports se défausse sur la Défense, la Défense se réfugie derrière le secret militaire, et l’ANAC invoque la “procédure interministérielle”. Pendant ce temps, la Secrétaire générale de la Présidence, Murielle Minkouemezui ép. Mintsa-Mi-Owono, tente une sortie diplomatique : le dossier “sera étudié par le ministère de tutelle”.

 

Autrement dit : on ne sait pas où il est, mais il existe quelque part. Dans les couloirs feutrés de l’administration, on murmure qu’un rapport de mission confidentiel aurait été transmis à la Présidence dès février 2025, mais qu’il n’a jamais reçu de validation politique. Le projet aurait été jugé “non prioritaire” face aux urgences budgétaires de la transition.

 

Les ailes cassées de la jeunesse

Pour les jeunes candidats, l’amertume est totale. Beaucoup avaient suspendu leurs études ou démissionné de petits emplois pour se consacrer à cette opportunité. Certains avaient même vendu des biens pour financer leurs dossiers. Aujourd’hui, ils songent à partir se former à l’étranger, convaincus que le ciel gabonais n’appartient qu’aux privilégiés.  « Le vautour peut voler haut, mais il ne mangera jamais le repas du faucon. », dit un adage. Et dans ce dossier, les faucons de l’administration ont bien gardé les miettes pour eux.

 

Le Gabon, ou l’art de faire du surplace en avion

Le collectif des parents et candidats appelle désormais le Président Brice Clotaire Oligui Nguema à faire la lumière sur ce “recrutement fantôme”. Mais comme souvent, les promesses de transparence risquent de finir… dans le hangar des oubliés de la République. Car au Gabon, les rêves de la jeunesse volent haut mais la paperasse, elle, n’a toujours pas d’hélice. Et pendant qu’on débat de “recensement” et de “procédure en cours”, les véritables pilotes, eux, restent au sol, à regarder passer les avions des autres. « Quand le coq promet de voler, il faut d’abord lui prêter des ailes. » Hélas, à l’ANAC, les ailes sont dans les discours, pas dans les airs.

Partagez:

0 Commentaires


Postez un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs marqués * sont obligatoires