Il a surgi du silence comme un ancien élève revenant donner des leçons au maître qu’il a jadis servi avec zèle. Dans une tribune publiée le 8 octobre 2025, Julien Nkoghe Bekale, l’ex-Premier ministre de 2019 à 2020, appelle les Gabonais à une « libération des consciences ». Belle formule, noble intention, mais elle a un petit goût de sermon tardif… surtout quand elle vient de celui qui, hier, ne prêtait guère l’oreille aux complaintes du peuple.
Le pays se souvient encore de l’époque où, sous le règne d’Ali Bongo, le même Julien Nkoghe Bekale défendait bec et ongles un pouvoir autiste. À cette époque, les marches étaient interdites, les syndicats bâillonnés, les journalistes muselés. Et pendant que la rue grondait, le Premier ministre, lui, parlait de “stabilité politique” et de “vision partagée”. Ironie du sort : celui qui refusait d’entendre les cris d’en bas veut aujourd’hui réveiller les consciences d’en haut.
Dans sa tribune, l’homme écrit, la main trempée dans l’encre du remords : « Le sursaut du 30 août 2023 a marqué un tournant historique : celui d’une libération tant attendue, non seulement politique, mais aussi intellectuelle et morale. » Très beau. Mais pour beaucoup, cette prose sonne comme une prière de pénitence. Car si le sursaut a libéré les esprits, c’est aussi parce que l’époque où il gouvernait a suffoqué l’intelligence nationale.
Ceux qui hier étaient traités de “détracteurs” et de “déserteurs de la République” sont aujourd’hui célébrés comme des pionniers de la liberté. Voilà l’ironie de la politique gabonaise : on enferme d’abord les consciences, puis on les célèbre une fois libérées… par d’autres.
Julien Nkoghe Bekale, dans un ton professoral, met désormais en garde contre la « tentation de réduire certaines voix au silence ». Mais comment ne pas lui rappeler que, lorsqu’il avait la clé du micro, il préférait souvent couper le son des autres ?
On dirait un ancien chef d’orchestre qui se plaint aujourd’hui que la fanfare joue faux. Et pourtant, il a raison sur un point : le pouvoir actuel s’enferme dans la même surdité sélective. Le nouveau régime, enivré par son propre discours, n’entend plus les murmures du peuple. La transition, censée libérer la parole, devient une foire à l’applaudimètre. On y parle de démocratie comme on parle d’un vin qu’on n’a jamais goûté.
Les mêmes réflexes refont surface : le culte de la loyauté avant la compétence, la peur du débat contradictoire, et cette obsession de diaboliser tous ceux qui ont “un passé” politique. Autrement dit, le Gabon a changé de costume, mais garde les mêmes coutures. On a remplacé les visages, pas les mentalités.
Julien Nkoghe Bekale appelle à « refuser l’ostracisme intellectuel ». Fort bien. Mais quand il était aux affaires, il n’hésitait pas à marginaliser ceux qui pensaient autrement. C’est à croire que, dans la jungle politique gabonaise, la mémoire est courte, mais l’hypocrisie longue.
Il plaide aussi pour ne pas “criminaliser le passé”. Là encore, message pertinent : la transition a tendance à confondre justice et vengeance, réforme et revanche. Mais quand l’appel vient de l’un de ceux qui ont nourri le système qu’il critique aujourd’hui, le message perd un peu de son arôme moral. Comme le dit un vieux proverbe punu : « Le léopard ne peut pas prêcher la paix aux gazelles après avoir léché son museau. »
Cependant, ne jetons pas tout le discours. Derrière l’apparente repentance, il y a une vérité amère : le pouvoir gabonais, qu’il soit d’hier ou d’aujourd’hui, a toujours eu du mal à écouter. Les ministres écoutent le président, le président écoute ses conseillers, les conseillers s’écoutent entre eux, et le peuple… écoute la radio.
Julien Nkoghe Bekale, en bon vétéran, a au moins le mérite de rappeler que la démocratie meurt d’abord du silence. Mais dans ce Gabon où la surdité politique est une maladie héréditaire, il n’y a pas encore de médecin pour guérir l’oreille du pouvoir.
Alors oui, son texte sonne juste, mais il arrive tard. Très tard. Comme ces politiciens qui découvrent l’amour du peuple une fois qu’ils ont perdu la clé du Palais. Et pour conclure, citons la sagesse des anciens : « Quand le tambour de la liberté résonne, les anciens danseurs reviennent, prétendant qu’ils avaient inventé la musique. »
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