Il fut un temps où le magistrat incarnait la sagesse, la droiture et la voix du droit. Aujourd’hui, il suffit qu’un juge tousse pour que le peuple y entende le bruit des billets. Le 27 septembre dernier, le magistrat Élie Nazaire Obiang Bekale, président de la Commission électorale du 5ᵉ arrondissement de Libreville, a appris à ses dépens que dans une République où la justice a perdu sa sainteté, même les saints finissent lapidés.
Des vidéos circulant sur les réseaux sociaux montrent la scène : un homme pris à partie, insulté, humilié en pleine rue, accusé d’avoir « volé les voix du peuple ». L’homme, pourtant, n’était pas un militant mais un magistrat désigné pour superviser le scrutin. Un haut fonctionnaire de l’État, qu’on a traîné dans la poussière au nom d’une colère devenue presque nationale : celle d’un peuple qui ne croit plus en ses juges.
La famille du magistrat, outrée, a réagi avec fracas. Aurélien Fidèle Ndong Ntoutoume, fils du magistrat, a dénoncé « une bande d’inconscients » menée par Arsène Nkoghé Nzé, délégué spécial du 5ᵉ arrondissement, accusé d’avoir toléré et alimenté cette vindicte populaire. Mais la vérité, plus cruelle, dépasse les murs de leur maison : Obiang Bekale paie le prix d’un système judiciaire devenu, pour beaucoup, un marché de verdicts.
Car à force de jouer les équilibristes entre la justice et la politique, la magistrature s’est transformée en marché public des consciences. On y achète la liberté, on y vend la vérité, et la morale, elle, se cache dans le tiroir du greffier. Comme le dit un vieux proverbe du pays fang : « Quand le singe reste trop longtemps dans la case de l’homme, il finit par marcher debout et réclamer une chaise. » Eh bien, dans notre République, les magistrats ont tellement frayé avec le pouvoir qu’ils ont oublié de juger selon la loi.
Aujourd’hui, l’un des leurs, intègre ou non, récolte la méfiance semée par les années de compromission. Et le peuple, lassé des injustices à répétition, ne fait plus la différence entre le juge qui juge et celui qui se juge lui-même. Pour lui, la robe noire sent désormais la poussière des dessous-de-table.
On peut comprendre la colère de la famille Obiang Bekale : l’humiliation publique d’un magistrat reste un affront à l’État. Mais dans ce théâtre gabonais où chacun joue son rôle avec excès, il est difficile de demander au public de respecter des acteurs dont la pièce tourne depuis trop longtemps à la farce.
Le fils du magistrat a promis des poursuites, des réparations, de la justice. Ironie du sort : c’est la justice qu’il faut désormais juger. Car à quoi bon saisir une institution que le peuple perçoit comme juge et partie ? Comme le murmure un proverbe bantou : « Quand la source est trouble, même le pêcheur le plus honnête attrape un poisson suspect. »
Élie Nazaire Obiang Bekale, doyen du Conseil d’État depuis 35 ans, symbole d’une carrière irréprochable selon ses proches, se retrouve ainsi dans la position absurde du juste puni pour les fautes des autres. Il est devenu l’agneau du sacrifice d’une justice en ruine morale. Et pourtant, ce drame aurait pu être évité si la magistrature avait su laver son linge sale avant que le peuple ne s’en empare.
Arsène Nkoghé Nzé, lui, nage entre deux eaux, comme tant d’autres politiciens caméléons, mi-UDB, mi-PDG, tout en couleur selon le soleil du jour. Mais qu’il se rassure : dans cette République de faux-semblants, même les crocodiles changent de mare sans changer de dents.
Ce qui s’est passé dans le 5ᵉ arrondissement de Libreville n’est pas seulement un dérapage électoral : c’est le symptôme d’un malaise plus grand. Celui d’un pays où l’on ne croit plus ni aux urnes, ni aux juges, ni aux discours. Un pays où la morale se récite en public et se renie en privé.
En réalité, le magistrat Obiang Bekale n’a pas été victime d’un candidat : il a été victime d’un système. Celui d’une justice trop souvent à genoux devant le pouvoir, trop silencieuse face à l’injustice, trop complice de sa propre déchéance. Et comme le dit si bien un proverbe gabonais : « Quand le village brûle, ce ne sont pas les flammes qu’il faut accuser, mais les mains qui ont laissé sécher les herbes. »
Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs marqués * sont obligatoires