Il y a des réveils tardifs qui mériteraient une alarme nationale. Invité sur le plateau de Télé Africa le 23 juin, Alain-Claude Bilie-By-Nze, ancien Premier ministre du régime Bongo et désormais président du mouvement Ensemble pour le Gabon, s’est livré à un grand numéro d’indignation contre les mesures d’austérité prises par le gouvernement actuel. Un moment de télévision à la fois spectaculaire, ironique et profondément amnésique.
Oui, vous avez bien lu : c’est l’homme qui, en pleine période de vaches maigres, a commandé des éléphants budgétaires, qui aujourd’hui monte au créneau pour dénoncer les « réformettes » et « mesures comptables sans vision stratégique ». De quoi faire tousser même les plus indulgents.
« Ce sont les mêmes mesures ! » et il parle en connaissance de cause
Sur le plateau, l’ancien chef du gouvernement a fustigé les décisions prises lors du Conseil des ministres du 20 juin : suppression de la gratuité des transports, rationalisation des billets d’avion, exonérations fiscales ciblées. À l’entendre, ces mesures sont insuffisantes, inefficaces, recyclées. En somme : « les mêmes qu’avant ». Et pour cause ! Elles portent la griffe des gouvernements auxquels il a participé activement.
Bilie-By-Nze a-t-il oublié qu’il fut pendant près d’une décennie l’un des ingénieurs en chef de cette politique budgétaire faite de replâtrages et de plans d’ajustement cosmétiques ? Que ces mêmes décisions habillées autrement furent souvent défendues à l’Assemblée avec sa bénédiction ?
Il accuse aujourd’hui l'État de « manquer de transparence » et de ne pas toucher aux « poches de gaspillage » comme la présidence. Mais sous sa direction, combien de missions présidentielles fastueuses sont parties sans qu’un seul sou de justification ne soit présenté au contribuable ? Il demande que « la rigueur commence par le sommet », alors qu’il en a longtemps tenu les clés.
L'ancien pompier devenu pyromane moral
Dans cette gymnastique politique devenue sport national au Gabon, Bilie-By-Nze excelle : l’art de s’indigner d’un système qu’il a contribué à faire prospérer. Aujourd’hui, il parle comme s’il découvrait les pratiques dont il fut l’un des plus zélés défenseurs. Le problème, ce n’est pas la mémoire courte. C’est la mémoire sélective.
Et dans son élan réformateur, il oublie de mentionner qu’en tant que Premier ministre, aucune réforme sérieuse des finances publiques n’a vu le jour. Pire, certaines des « réformettes » d’aujourd’hui sont une photocopie conforme des siennes d’hier. Bilie-By-Nze critique les mesures actuelles avec le même ton que celui utilisé autrefois pour les justifier au nom de la « stabilité ».
Le miroir, ce redoutable adversaire
Si la sortie de Bilie-By-Nze a au moins un mérite, c’est celui de poser les bonnes questions... mais avec les mauvaises mains. Car en politique, il ne suffit pas de changer de micro ou de décor pour devenir subitement crédible. Il faut aussi avoir le courage de reconnaître son rôle dans le désastre que l’on dénonce.
Et à défaut d’amnésie, un brin de lucidité aurait permis à l’ancien Premier ministre d’éviter ce qu’on pourrait résumer par une citation célèbre : « le comble de la démagogie, c’est d’exiger des autres ce qu’on n’a jamais eu l’audace de faire soi-même ».
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