Il aura fallu des images de matelas trempés, des pleurs de mères éplorées et des enfants révisant sous les lampadaires pour que la société civile gabonaise, traditionnellement aussi discrète qu’un chat sous la pluie, sorte enfin de son mutisme stratégique. Mais attention : elle ne le fait pas de son propre chef, non. C’est « suite aux recommandations du Président de la République, Chef de l’État, Chef du Gouvernement », précise-t-on prudemment. En clair : on se mobilise, mais sans oublier qui tient le carnet des subventions.
Dans un communiqué parvenu à notre rédaction avec accusé de réception bien visible six organisations de la société civile annoncent le lancement d’une mission de médiation et de facilitation dans les quartiers sinistrés par les opérations de déguerpissement de ces dernières semaines. Oui, vous avez bien lu : après les pelleteuses, voici les médiateurs.
Du 13 au 28 juin, ces nouveaux pompiers citoyens interviendront dans les zones impactées « pour documenter les conséquences sociales des expulsions et proposer des solutions pacifiques ». Une noble entreprise qui fait presque oublier que les bulldozers sont passés sans que personne ne lève le petit doigt… ou presque.
Parmi les chevaliers de l’humanisme tardif, on retrouve une belle brochette d’acronymes militants : ROLBG, Copil Citoyen, Croissance Saine Environnement, la Confédération Machette Syndicale, le Syndicat des Petits Métiers et, cerise sur le tas de gravats, l’Association des Commerçants Riverains Impactés par les Mesures (ASCORIM). Un patchwork de bonne volonté, de corporatisme, et sans doute d’espoir d’invitation au prochain Dialogue National.
Chacune de ces entités devra désigner cinq enquêteurs aguerris – entendez : capables de poser des questions, prendre des notes, et surtout de marcher dans les décombres sans trébucher. Une formation conjointe est prévue ce vendredi à 11h au siège du ROLBG, un bâtiment miraculeusement non-déguerpi, situé derrière le Camp De Gaulle, là où le goudron a survécu à la République
La mission sera encadrée par des experts en « enquêtes socio-économiques et en urbanisme », un mélange subtil entre diagnostics techniques et compassion calculée. Supervisés, formés, encadrés… l’armada citoyenne est fin prête à colmater les brèches laissées par les pelleteuses de l’État.
Mais au fond, à quoi bon ? Cette initiative n’est-elle pas un pansement sur une jambe arrachée ? Car pendant que la société civile déroule son plan d’action avec professionnalisme et précaution diplomatique, les populations déguerpies dorment toujours dehors, et l’État, lui, poursuit son grand ménage à coups de Caterpillar. La vérité, c’est qu’au Gabon, on déguerpit d’abord, on compatis ensuite. Et parfois, entre les deux, on forme quelques enquêteurs pour mieux expliquer la misère aux miséreux.
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