Il paraît qu’il faut raser pour reconstruire. À Plaine-Orety et Derrière l’Ambassade de Chine, on a commencé par la première étape. Brutalement. Massivement. Et sans préavis clair, selon certains. Pourtant, l'histoire est plus complexe que la belle indignation de salon que certains opposants en exil intérieur tentent de vendre à l'opinion publique.
Sur les ruines fumantes du passé, l’Union Nationale (UN) dénonce une opération « inhumaine ». Soit. Mais que l’on prenne un instant pour balayer les gravats idéologiques : dans ce dossier, tout le monde a sa part de béton dans le sac.
Les bulldozers n’effacent pas l’histoire
Oui, des familles ont été délogées. Oui, certains dorment à la belle étoile, et non par romantisme. Mais faut-il rappeler que la majorité des habitants avaient bel et bien été indemnisés par l’État, parfois depuis des années ? Des indemnisations sonnantes et trébuchantes, souvent acceptées sans contestation. Mais comme l’argent n’a pas de mémoire, certains « bénéficiaires » ont préféré le double jeu : revente des maisons, revente des terrains, et surtout revente du silence, dans un marché parallèle où la naïveté du prochain devient une marchandise.
Le plus cynique ? Certains malins ont vendu leurs maisons à de nouveaux propriétaires sans mentionner le petit détail qu’un projet gouvernemental d’envergure allait transformer le quartier en boulevard. C’est ce qu’on appelle, dans le jargon politique, l’économie de transition.
Quand l’État laisse la nature bâtir l’État dans l’État
Mais avant de charger le citoyen opportuniste, il faut regarder du côté du vrai promoteur du chaos : l’État lui-même. Pendant plus de deux décennies, il a laissé la nature et la débrouillardise reprendre leurs droits. Pas de contrôle, pas de rappel à l’ordre, une tolérance floue qui a fait pousser des maisons comme des champignons en saison des pluies, dans des zones pourtant frappées d’interdiction. Ce n’est pas un quartier qui s’est développé, c’est une politique de l’inaction qui a construit un bidonville avec vue sur le laxisme républicain.
Aujourd’hui, l’État se réveille, bulldozer à la main, déterminé à moderniser Libreville à marche forcée, dans le cadre du très solennel projet du « Boulevard de la Transition ». On imagine que ce nom a été choisi pour donner un vernis progressiste à une opération qui tient parfois plus de la chirurgie sans anesthésie que de la planification urbaine. Transition, certes. Mais transition vers quoi, et pour qui ?
L’indignation sélective et la mémoire courte
L’UN réclame une enquête parlementaire ? Bonne idée. Mais qu'on enquête aussi sur les notaires complaisants, les agents de l’État qui fermaient les yeux contre un billet froissé, les chefs de quartier devenus marchands de terrains, et les sinistrés devenus promoteurs du dimanche. Qu’on enquête surtout sur la schizophrénie d’un État qui dénonce aujourd’hui ce qu’il a laissé proliférer hier.
Au final, entre ceux qui ont joué double jeu, ceux qui payent le prix fort sans rien comprendre, et ceux qui orchestrent le chaos en costume trois-pièces, Plaine-Orety n’est pas qu’un quartier rasé : c’est un résumé miniature de notre fonctionnement national.
Libreville se modernise ? Très bien. Mais que cette modernisation ne ressemble pas à un grand nettoyage social maquillé en projet d’infrastructure. Et que les institutions n’oublient pas que les gravats ne disparaissent pas sous le tapis : ils finissent toujours par resurgir… dans les urnes, ou dans la rue.
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