Mercredi dernier, au siège de sa plate-forme "Ensemble Pour le Gabon" (EPG), Alain-Claude Bilie By Nzé, ancien Premier ministre d’Ali Bongo, a pris la parole avec la gravité d’un sage et l’assurance d’un réformateur illuminé. À l’entendre, le Gabon se dirige enfin vers un nouveau paradigme électoral, sous sa houlette visionnaire. Mais derrière les beaux discours, difficile d’oublier que celui qui prêche aujourd’hui la transparence a longtemps siégé dans les coulisses d’un régime qu’il n’ose plus nommer.
Le fichier électoral, ce mystère national
Au cœur des propositions, une promesse : la refonte totale du fichier électoral, ce Frankenstein administratif accusé d’abriter des millions de voix fictives et des morts-vivants électoraux. L’idée d’une supervision par une entité indépendante est séduisante, mais on s’interroge : qui serait assez neutre pour endosser cette mission sacrée ? Dans une nation où chaque institution a sa préférence politique, confier cette tâche à une commission indépendante, c’est comme demander à un arbitre de jouer pour les deux équipes en même temps.
Bulletin unique : l’adieu aux confettis électoraux ?
L’EPG milite également pour un bulletin unique, histoire de mettre fin au chaos des bulletins multicolores qui transforment nos élections en carnaval démocratique. Mais qui dit bulletin unique dit risque accru de sophistication des fraudes. Pourquoi fabriquer plusieurs bulletins quand un seul suffira pour tout manipuler ? Entre économie de papier et ingénierie électorale, le bulletin unique pourrait devenir l’arme ultime des experts en "recomptage créatif".
Bilie By Nzé exige que l’armée soit totalement écartée du processus électoral. Une requête logique dans un pays où la neutralité militaire est souvent une façade. Mais EPG va plus loin : il faut, dit-on, que les soldats votent le même jour que les civils, pour éviter toute "manipulation en caserne". C’est une proposition courageuse… à condition qu’un candidat n’ait pas déjà verrouillé les faveurs des treillis avant même la distribution des urnes.
Redécoupage et Cour constitutionnelle : réformes ou chimères ?
L’ancien Premier ministre dénonce un redécoupage électoral basé sur des caprices géographiques et propose de le revoir selon des critères démographiques. Là encore, l’intention est louable. Mais depuis quand un redécoupage au Gabon n’a-t-il pas été taillé sur mesure ? Les "fiefs électoraux" sont à la politique ce que les bastions forestiers sont aux exploitants de bois : des zones à rentabilité garantie.
Quant à la Cour constitutionnelle, EPG réclame une refonte totale. Une institution refaite à neuf, nommée par qui ? Par d’autres politiques aux ambitions tout aussi "neutres" ? Si la Cour actuelle penche clairement d’un côté, qui garantit que la prochaine ne fera pas de même sous d’autres couleurs ?
Le plafonnement des dépenses de campagne proposé par EPG est presque révolutionnaire. Après tout, cela reviendrait à couper les vivres à cette tradition bien gabonaise : l’achat massif de consciences électorales. Mais soyons honnêtes, un candidat sans moyens financiers dans nos contrées a autant de chance de remporter une élection qu’un marathonien sans jambes.
Bilie By Nzé s’est également indigné du taux d’endettement abyssal du Gabon, largement au-delà des seuils de la CEMAC. Ce même taux qu’il avait pourtant contribué à faire grimper lorsqu’il était aux commandes. Une indignation tardive qui ressemble à un mea culpa déguisé en discours politique.
Enfin, l’ancien Premier ministre a fustigé le couvre-feu, ce "désastre économique" imposé depuis trop longtemps. S’il a raison sur le fond, difficile de ne pas voir dans cette sortie un plaidoyer déguisé pour les électeurs fatigués par les restrictions.
Analyse : Bilie By Nzé, réformateur ou opportuniste ?
Le discours d’Alain-Claude Bilie By Nzé est un savant mélange de critiques pertinentes et d’un opportunisme savoureux. Le même homme qui, hier, défendait un régime opaque, s’érige aujourd’hui en champion de la transparence. Ironie du sort, ses propositions pour des élections équitables arrivent alors qu’il n’a plus rien à perdre.
"Ensemble Pour le Gabon" propose des réformes ambitieuses mais semble oublier que dans ce pays, les bonnes intentions s’écrasent souvent contre le mur des intérêts bien établis. Bilie By Nzé, prophète tardif de la démocratie, devra répondre à une question cruciale : pourquoi croire aujourd’hui celui qui a si longtemps gardé le silence ? Le Gabon attend peut-être son renouveau électoral, mais de là à croire que les architectes d’hier seront les bâtisseurs de demain, il y a un pas que beaucoup hésiteront à franchir.
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