Le concert de "L’Oiseau Rare", organisé au gymnase de Libreville, aurait dû être un simple moment de divertissement. Pourtant, il s’est rapidement mué en une scène où se mêlent maladresse administrative et récupération politique. Au cœur de la soirée, le ministre des Sports, André-Jacques Augand, a publiquement remis un acte de naturalisation gabonaise à l’artiste, devant un public médusé. Ce geste, loin de son cadre institutionnel habituel, soulève de nombreuses interrogations quant à la direction que prend la Transition au Gabon.
Un acte administratif dévoyé
La naturalisation est, par essence, un processus administratif encadré par des normes strictes. Elle est généralement officialisée par le ministère de la Justice ou de l’Intérieur, lors d’une cérémonie solennelle et discrète, loin des projecteurs. Or, la remise publique de ce document par un ministre des Sports lors d’un concert brouille les lignes entre les fonctions étatiques et les actes symboliques.
Ce choix délibéré de mise en scène interroge sur les motivations sous-jacentes. Était-ce une manière de montrer la générosité de la Transition, de rappeler au peuple que l’État est capable de "grands gestes" ? Ou s’agissait-il d’un simple coup médiatique destiné à renforcer l’image d’un régime qui cherche encore à légitimer son pouvoir ?
Depuis l’avènement de la Transition, une grande partie des Gabonais espéraient un renouveau : des institutions plus fortes, des pratiques administratives modernisées et une rupture avec les méthodes de l’ère Bongo. Pourtant, cet épisode illustre une continuité plutôt qu’une rupture.
Sous Omar et Ali Bongo, la politique spectacle était monnaie courante : des inaugurations grandiloquentes, des cérémonies médiatisées, et une gestion étatique où l’apparence l’emportait sur la substance. Aujourd’hui, la Transition semble emprunter des chemins similaires, où l’image prend le pas sur l’action concrète.
Le piège du culte de la personnalité
La Transition militaire avait promis de mettre fin aux excès du passé, mais elle semble reproduire les mêmes schémas. L’intervention d’une figure médiatique bien connue, qui a profité de l’occasion pour appeler les jeunes à voter pour le président de la Transition en 2025, en est un exemple frappant.
Cela soulève des préoccupations majeures : pourquoi associer un concert à une campagne politique prématurée ? Sommes-nous déjà dans une logique électoraliste alors que la période de transition est censée être dédiée à la réforme et à la consolidation des bases démocratiques ?
Le Gabon est depuis trop longtemps prisonnier d’un culte de la personnalité omniprésent. Si ce n’est pas Omar, c’est Ali. Et si ce n’est pas Ali, c’est Oligui. Ces figures sont exaltées à outrance, comme si le destin du pays dépendait toujours d’un individu plutôt que d’institutions solides.
Le vrai défi : répondre aux attentes des Gabonais
Au-delà de ces mises en scène, le peuple gabonais fait face à des défis bien réels. Le chômage des jeunes, la dégradation des infrastructures éducatives et sanitaires, et l’inflation galopante sont des problèmes qui ne seront pas résolus par des spectacles politiques.
Le rôle d’une transition est de poser les bases d’un futur plus stable, pas de reproduire les erreurs du passé. La cérémonie de naturalisation publique aurait pu être évitée, tout comme l’appel au vote inapproprié. Ce sont des gestes qui, au lieu de renforcer la confiance dans la Transition, nourrissent la suspicion et le mécontentement.
Un moment charnière pour la Transition
La Transition est à un tournant. Elle peut choisir de maintenir ces pratiques démagogiques, au risque de perdre la crédibilité acquise le 30 août 2023. Ou elle peut prendre le chemin plus difficile, mais nécessaire, de la réforme structurelle, en mettant fin à ces spectacles inutiles et en se concentrant sur les attentes réelles de la population.
Le Gabon ne manque pas de talents, ni de ressources. Ce qu’il manque, ce sont des dirigeants capables de dépasser le besoin de reconnaissance individuelle pour bâtir des institutions fortes et durables. À ce stade, ce n’est pas "l’Oiseau Rare" qui doit être célébré, mais les efforts collectifs pour transformer le pays.
Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs marqués * sont obligatoires