Alors que les rues de Libreville résonnent encore des cris des déguerpis et que des chaînes de solidarité s’organisent à coups de vivres, de matelas et de bâches en plastique, Alain-Claude Bilie-By-Nze, lui, choisit la voie des tribunaux pour tendre la main aux sinistrés. Une initiative audacieuse ou théâtrale, diront certains qui rappelle à tous que dans l’arène politique, la solidarité peut aussi se plaider en robe noire.
Pendant que citoyens, ONG et religieux se mobilisent, bras chargés de dons et cœurs lourds de compassion, l’ancien Premier ministre, désormais plus justiciable que gouvernant, dégaine une « solidarité juridique », à grand renfort de communiqué de presse et de noms d’avocats bien choisis. Une autre manière de dire « je suis avec vous », mais avec un Code civil à la main.
Le cabinet de l’ex-chef du gouvernement a ainsi annoncé la mise à disposition d’un trio d’avocats — Maîtres Moubembe, Mba Ondo et Eyue Bekale — pour défendre les habitants déracinés des quartiers situés « derrière l’Assemblée nationale », « derrière l’ambassade de Chine » et « derrière l’ambassade du Liban ». Trois zones symboliques qui, à défaut de diplomatie, ont vu passer la diplomatie brutale du bulldozer.
Le cœur sur le bras… de la justice
Dans cette Libreville où tout le monde cherche à prouver qu’il a un cœur, certains offrent des bouteilles d’eau, d’autres des actions en justice. Et Bilie-By-Nze, fidèle à son style cérébral et stratège, a choisi le terrain du droit. Une posture plus noble que celle du silence de beaucoup d’anciens dignitaires, mais aussi une mise en scène soigneusement calculée. Car ici, chaque acte de compassion est aussi un acte de communication.
« Il ne s’agit pas de contester l’aménagement urbain », précise un proche du cabinet, « mais de rappeler que l’État ne peut raser des maisons comme on efface un tableau noir ». Une formule ciselée, presque poétique, qui aurait bien mérité un hashtag.
L’ombre d’un come-back ?
Bien sûr, cette offensive judiciaire n’est pas dénuée d’arrière-pensées politiques. Après avoir été à la manœuvre dans des opérations similaires en tant que membre du gouvernement passé, Bilie-By-Nze se repositionne aujourd’hui en avocat du peuple. De bourreau technocrate à protecteur des sans-abri ? La mue est spectaculaire. Certains y voient les prémices d’un retour en grâce, d’une réhabilitation médiatique, voire d’une candidature voilée pour une future transition politique post-transition.
Mais soyons honnêtes : dans une République où les bulldozers vont plus vite que les décrets, toute tentative de rééquilibrage des forces mérite d’être saluée même si elle arrive en costume trois pièces et non en gilet humanitaire.
Une justice en guise de tente
Reste une question : pendant que les familles dorment à la belle étoile, que peut réellement une citation à comparaître face à la pluie ? L’initiative de Bilie-By-Nze est brillante sur le plan symbolique, mais elle risque de laisser les sinistrés dans une attente procédurale aussi longue que les promesses ministérielles. La justice, en Afrique centrale comme ailleurs, n’est pas toujours l’amie des urgences humanitaires.
Mais au moins, le geste existe. Il tranche dans un paysage politique trop souvent muet devant la misère qu’il contribue à fabriquer. Et il donne à ces citoyens déplacés un espoir : celui que, peut-être, la loi puisse encore les protéger de la pelle mécanique. Pendant que certains montent des tentes, d’autres montent des dossiers. Et dans la jungle gabonaise post-déguerpissement, le droit devient le dernier refuge des sans-abri.
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