Des membres présumés du réseau après leur interpellation. © Capture d’écran /Gabon24.
C’est un coup de filet que les autorités présentent comme un succès majeur : sept Gabonais, âgés de 21 à 35 ans, ont été arrêtés par la Direction générale des services spéciaux (DGSS) et l’Office central de lutte anti-drogue (OCLAD), pour leur implication présumée dans un vaste réseau international de trafic de cocaïne.
Mais derrière la communication triomphale, une autre question surgit : le Gabon sait-il vraiment combattre le narcotrafic ou ne fait-il que courir après les miettes d’un système bien plus profond, où complicité et impunité s’entremêlent ?
Un réseau bien huilé, une justice en roue libre
L’opération, menée conjointement par la DGSS et l’OCLAD, a permis de démanteler un circuit d’importation de cocaïne en provenance du Ghana. Le cerveau, un certain Socrate, gabonais en exil, a troqué la philosophie contre la chimie, tandis que son bras droit, Jacques Bekalé alias “Medellin”, orchestrait les flux financiers et logistiques depuis l’étranger.
Les cargaisons transitaient par le port d’Owendo, dissimulées dans des conteneurs de produits ordinaires, avant d’atterrir dans le très symbolique quartier du Ballon d’Or à Libreville un nom prédestiné pour une économie de poudre et de trophées mal acquis.
L’enquête révèle une structure quasi-entrepreneuriale : Tricia Miguel Ozoumet Magaya, compagne du cerveau, gérait la réception locale, tandis que le frère du patron s’occupait de la distribution nationale. Les flux d’argent, estimés à plus de 2 millions de FCFA, témoignent d’un trafic bien organisé, aux ramifications étendues jusqu’à Port-Gentil, Franceville et Bitam.
Quand le Code pénal semble encore sous anesthésie
Si l’opération a de quoi réjouir les services de sécurité, la suite judiciaire, elle, reste plus incertaine. Le Code pénal gabonais, dans son article 241 et suivants, punit sévèrement la production, la détention et le trafic de stupéfiants. En théorie, les coupables risquent jusqu’à la réclusion criminelle à perpétuité et de lourdes amendes.
Quand le showbiz s’invite dans le trafic
L’arrestation surprise du producteur musical Krys O’Bryan a donné à l’affaire un parfum de scandale. Ingénieur du son respecté, il aurait participé volontairement ou non à la logistique du réseau. Son interpellation a semé la panique dans le milieu artistique, où la poudre blanche n’est plus seulement une rumeur de coulisses.
Cette dimension “people” illustre un malaise plus profond : la normalisation du vice dans une société où l’économie parallèle remplace les opportunités absentes. Dans les studios comme dans les ports, la tentation du gain rapide a pris le pas sur la peur de la loi. Et pendant que les tribunaux s’apprêtent à juger sept jeunes désœuvrés, les cerveaux du réseau, eux, profitent tranquillement de la chaleur d’Accra, hors de portée d’une Interpol souvent plus bavarde qu’efficace.
Un pays sous poudre surveillée
Le Gabon, déjà confronté à la contrebande d’or, de bois et de carburant, découvre désormais la face sombre de la mondialisation : celle du narcotrafic structuré. Le port d’Owendo, souvent cité dans d’autres affaires de trafic, reste une passoire logistique où la vigilance se négocie parfois en espèces. Et malgré les déclarations officielles, le manque d’équipements, de formation et de coordination entre les services de sécurité laisse des failles béantes.
La question devient alors politique : le gouvernement a-t-il la volonté de s’attaquer au système dans son ensemble, ou se contentera-t-il d’exhiber quelques arrestations de circonstance ? Comme le dit un proverbe fang : “Quand le filet attrape les petits poissons, les gros passent toujours entre les mailles.”
Vers une lutte crédible ou un spectacle répressif ? L’affaire Socrate-Medellin pourrait être un tournant. Si la justice va au bout, sans interférences ni sélectivité, le Gabon enverra enfin un signal fort contre les trafiquants. Mais si, comme trop souvent, les procédures s’enlisent ou se négocient dans les couloirs obscurs du pouvoir, alors cette arrestation ne sera qu’une scène de plus dans le grand théâtre de l’impunité nationale. Entre la poudre et la peur, le pays oscille encore. Et tant que la loi ne sera pas plus forte que les liens d’intérêt, le narcotrafic, lui, continuera de danser sur le dos de la jeunesse.
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