Harold Leckat, patron de Gabon Média Time. Montage photo Gabonreview.
Au Gabon, quand un journaliste parle trop fort, on ne lui répond plus avec un droit de réponse, mais avec un mandat de dépôt. Harold Leckat, patron de Gabon Média Time, vient d’en faire la démonstration en direct : un billet d’avion, une arrestation, un transfert express à la prison centrale tout ça au nom du « droit commun ». Le procureur Bruno Obiang Mve, costume impeccable et Code pénal sous le bras, jure qu’il ne s’agit pas de délit de presse, mais d’« escroquerie » et de « violation des marchés publics ». Autrement dit : le journaliste aurait troqué son micro contre une facture.
Mais voilà, au royaume des textes, les mots ont un sens. Et dans le Code pénal gabonais, l’escroquerie (article 301, pour les puristes) suppose une manœuvre frauduleuse, un enrichissement personnel, et une victime flouée. Jusque-là, rien de bien original. Sauf qu’ici, le prévenu n’est ni fonctionnaire, ni caissier de la République. Il dirige un média privé, pas une direction du Trésor. Alors, comment un journaliste peut-il détourner des fonds publics qu’il ne gère même pas ? À moins qu’on ait inventé un nouveau concept : le détournement d’opinion publique.
Ce qu’on appelle ailleurs « différend contractuel » devient chez nous « infraction économique ». Et quand la CDC dépose plainte, le parquet se précipite comme un pompier pyromane. Le journaliste est alors traité comme un receleur de budgets, alors qu’il n’est qu’un prestataire mal payé. Comme dit un vieux proverbe fang : « Quand le singe grimpe trop haut, il oublie que les chasseurs ont encore des pierres. »
Dans le fond, cette affaire sent moins l’arnaque financière que l’exemple disciplinaire. L’État veut montrer qu’on ne chatouille pas impunément ses caisses, même de loin, même avec un stylo. Et si, au passage, cela refroidit quelques claviers trop bavards, tant mieux.
Mais juridiquement, la ficelle est grosse. Les articles 301 du Code pénal et 254 du Code des marchés publics s’appliquent à des agents publics ou à des cocontractants qui manipulent des fonds de l’État. Or, GMT n’est ni comptable, ni receveur, ni percepteur. Il n’a fait que signer un contrat de prestation avec une institution publique. Et ça, au pire, relève du droit civil, pas du pénal. Bref, on a sorti le bazooka pour écraser un moustique et encore, un moustique de presse.
Le procureur assure que « l’enquête ne se limitera pas à la seule personne de M. Leckat ». Traduction en langage administratif : « Si on ne trouve rien, on cherchera autre chose. » Et, pendant ce temps, l’intéressé médite derrière les murs de Gros-Bouquet, pendant qu’on jure, la main sur le cœur, qu’il bénéficie de la « présomption d’innocence ». Oui, bien sûr… une présomption enfermée à double tour, mais toujours vivante, paraît-il.
Pourtant, le même Code pénal permet au juge d’accorder la liberté provisoire, surtout quand l’accusé présente toutes les garanties de représentation. Leckat n’a ni tenté de fuir, ni troublé l’ordre public, ni menacé qui que ce soit. Mais au Gabon, la liberté provisoire se distribue comme les places au marché : selon l’heure d’arrivée et la tête du client.
Et puis, soyons sérieux : si chaque marché public mal ficelé devait envoyer son signataire à la case prison, il ne resterait plus grand monde pour lever le drapeau le matin. Mais comme dit la sagesse punu : « Le crocodile ne rit jamais quand la mare se vide il attend juste qu’on le confonde avec un tronc. » Alors, Harold Leckat victime d’une lecture acrobatique du Code pénal ou d’un excès de zèle judiciaire ? La suite le dira. Mais une chose est sûre : dans cette République, la plume fait encore plus peur que le pistolet surtout quand elle vise juste.
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