IMG-LOGO
Accueil Article Gab Pêche : quand les poissons de la discorde mordent à l’hameçon de la mauvaise gouvernance
Société

Gab Pêche : quand les poissons de la discorde mordent à l’hameçon de la mauvaise gouvernance

IMG La déclaration du collectif des pêcheurs.

À Libreville, les filets du projet Gab Pêche n’ont pas seulement ramené des poissons : ils ont aussi sorti à la surface les secrets d’une gouvernance aussi trouble que les eaux du Komo après la pluie. Deux mois à peine après son lancement, cette initiative censée redonner de la dignité aux pêcheurs gabonais patauge déjà dans un marigot de querelles internes, d’accusations de détournement et d’appétits mal dissimulés.

 

Ce mardi 7 octobre, le Collectif des coopératives bénéficiaires, mené par Yents-Kumbe (président de la Cepeg) et Marcel Edou Ndong (président de la Copeb), a brisé le silence. Leur message : « Trop, c’est trop ! » Car pendant que certains s’égosillaient sur les réseaux sociaux pour réclamer la paternité du projet, d’autres s’activaient à sauver ce qui pouvait encore l’être.

 

Des remous dans les eaux de l’économie bleue

Le projet Gab Pêche, fruit d’un travail collectif soutenu par l’État à travers la Société nationale de développement de l’économie bleue, devait symboliser la renaissance d’un secteur longtemps abandonné aux flots du désordre. Objectif : permettre aux nationaux d’occuper enfin le rivage de la pêche artisanale à grande échelle.

 

Mais comme on dit chez nous, « quand le repas est prêt, même ceux qui n’ont pas aidé à piler le manioc veulent le premier morceau ». À peine les moteurs hors-bord ont-ils vrombi que des querelles de leadership et de gros sous ont éclaté. Au centre de la tempête : Hermann Omanda, administrateur directeur général suspendu du projet. Accusé de gouvernance opaque et d’avidité, l’homme aurait transformé ce programme collectif en un festin privé, où 60 % des recettes disparaissaient dans des poches inconnues, pendant que les véritables pêcheurs, eux, se contentaient des miettes.

 

Des chiffres qui sentent le poisson pourri

Les faits avancés par les coopératives ont de quoi donner le mal de mer : 2,2 tonnes de poisson pêchées, mais seulement 1,6 tonne comptabilisée après ente ; 1 835 970 FCFA reversés aux pêcheurs contre 2 753 955 FCFA évaporés dans les airs ; 16 millions de FCFA de masse salariale mensuelle, dont une partie aurait été versée à des « travailleurs fantômes » ; et 2 millions de FCFA non reversés à la banque. Autant dire que dans cette pêcherie, les plus gros poissons ne sont pas dans la mer, mais derrière les bureaux climatisés.

Yents-Kumbe ne mâche pas ses mots : « Ce modèle économique est esclavagiste ! Les pêcheurs travaillent à la sueur de leur front, financent leur matériel, remboursent leurs crédits, pendant que d’autres se servent sans mouiller le maillot. » Et d’ajouter, dans une phrase qui résonne comme une gifle : « Quand le capitaine confond le navire avec sa pirogue personnelle, le naufrage n’est plus une hypothèse. »

Entre cabale et cabotage politique

Sur les réseaux sociaux, la rumeur enfle, portée par ceux qui, selon le collectif, tentent de « salir l’image d’un projet d’avenir ». Certains parlent de vol de projet, d’autres de vente à des étrangers, d’extorsions ou de détournements. Mais au fond, c’est la crédibilité du programme tout entier qui prend l’eau.

Marcel Edou Ndong, représentant du collectif des dix coopératives, pointe du doigt une réalité plus crue : « Pendant que les pêcheurs attendaient leur premier départ en mer, l’ADG retardait les opérations de quatre semaines, multipliant les exigences financières injustifiées. » Face à ce chaos, la ministre de la Mer, Laurence Ndong, a fini par sortir le harpon : suspension provisoire de l’ADG et promesse de réorganisation. Une décision saluée par le collectif, qui espère désormais que le bateau Gab Pêche reprendra sa route sous de meilleurs auspices.

 

Quand la mer enseigne la sagesse

Dans le Golfe de Guinée comme dans la vie, la mer a ses leçons. « Celui qui ne respecte pas le courant finit toujours dans les filets du destin », dit un proverbe fang. L’histoire de Gab Pêche illustre tristement comment une initiative porteuse d’espoir peut chavirer quand la cupidité supplante la solidarité.

 

Mais tout n’est pas perdu. Les coopératives promettent une Assemblée générale de refondation, une meilleure gouvernance, une bancarisation des pêcheurs et une adhésion à la CNSS. Elles réaffirment leur soutien à la vision présidentielle, notamment la distribution prochaine des 700 pirogues aux véritables artisans de la mer, pas aux « pêcheurs de fonds publics ». Car, comme le rappelle un vieux sage de Port-Gentil : « Quand le filet est troué, on ne jette pas la mer, on le répare. »

 

Gab Pêche devait symboliser la fierté nationale, la reconquête de nos mers et la dignité retrouvée des pêcheurs gabonais. Au lieu de cela, il risque de devenir un cas d’école sur la dérive bureaucratique et la cupidité institutionnelle. Mais le Gabon, pays des eaux et des espoirs, mérite mieux. Car si « la mer ne ment jamais », elle finit toujours par recracher les vérités qu’on veut lui cacher.

Partagez:

Postez un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs marqués * sont obligatoires