Un an et demi après sa chute, Ali Bongo Ondimba n’a plus d’armée à sa botte, plus de conseillers obséquieux pour l’ovationner à chaque hausse de sourcil, plus de cortèges motorisés pour fendre le boulevard Triomphal. À la place, un majordome indien, des jus de carotte au gingembre et un Sudoku qui lui donne sans doute plus de fil à retordre que la gestion du pays. Assigné à résidence dans sa villa de la Sablière, l’ancien président gabonais tente de convaincre l’opinion qu’il est aujourd’hui une victime du système qu’il a lui-même façonné.
Et pourtant, si l’on en croit ses déclarations à Jeune Afrique, tout irait mieux. Son élocution s’est améliorée, il bénéficie à nouveau des soins de ses médecins et même d’un orthophoniste. On se souvient de la tristesse qu’inspirait son discours du 7 janvier 2019, lorsqu’il peinait à formuler des phrases cohérentes. Aujourd’hui, il parle vite, bien, et sait exactement ce qu’il veut : la libération de sa femme et de son fils.
Victime ou metteur en scène ?
Mais que vaut encore la parole d’Ali Bongo ? Celui qui, en janvier, était censé observer une « grève de la faim » pour exiger la libération de Sylvia et Noureddin, avoue désormais qu’il n’en est rien. Ses proches lui auraient conseillé de ne pas s’infliger un tel supplice. Pourtant, il continue de se lamenter : « J’en ai marre… Cela fait désormais un an et demi que Sylvia et Noureddin sont emprisonnés. Ils leur ont tout pris, tout confisqué. »
Ironie du sort, voici donc un homme qui se plaint de la confiscation de biens quand lui et son entourage ont régné sur le Gabon comme un empire privé pendant quatorze ans. Lui qui a signé des décrets au gré des caprices de son clan, qui a vu son épouse et son fils transformer le Palais en entreprise familiale, crie aujourd’hui à l’injustice.
Plus encore, il clame son innocence dans les affaires de détournements présumés. On lui aurait présenté des comptes bancaires en Afrique du Sud et en Malaisie qu’il dit n’avoir jamais ouverts. Peut-être est-ce un problème de mémoire, ou bien un de ces mystères comptables qui rendent l’argent public si volatil sous certains régimes. Quoi qu’il en soit, il assure que sa femme n’avait aucun pouvoir et qu’elle était « absente la plupart du temps ». La question se pose alors : qui gouvernait réellement pendant les dernières années de son règne ?
L’art du silence de la Transition
Si Ali Bongo parle, le pouvoir, lui, reste silencieux. Il dit avoir demandé à voir le général-président Brice Clotaire Oligui Nguema à plusieurs reprises, sans succès. L’unique entrevue qu’ils ont eue « n’a servi à rien », confie-t-il. On comprend donc que le Chef de l’État actuel n’a ni l’intention de répondre à ses supplications, ni de rouvrir des dossiers qu’il préfère manifestement laisser enfouis.
Mais ce silence en dit long. Il rappelle que le Gabon est entré dans une nouvelle ère où l’ancien régime n’a plus voix au chapitre. En d’autres termes, Ali Bongo peut bien remplir toutes les cases de son Sudoku, sa place dans l’échiquier politique est désormais hors-jeu.
Entre assignation et résignation
Reste une interrogation : que cherche réellement Ali Bongo en médiatisant ainsi sa situation ? Une simple clémence pour ses proches ou une tentative de repositionnement en tant qu’acteur politique ? Si l’on en croit son discours, il ne réclame qu’un semblant de vie de famille. Pourtant, dans une Gabon où les victimes du système Bongo n’ont jamais eu droit à autant de sollicitude, son sort ne suscite que peu d’émotion.
Alors, pendant que Libreville s’adapte au Gabon post-Bongo, l’ancien président, lui, s’accroche aux souvenirs d’un temps où il régnait sans partage. Entre deux mots fléchés et un jus détox, il attend. Mais comme tout bon joueur de Sudoku le sait : certaines grilles sont impossibles à résoudre.
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