Il aura donc fallu quinze ans. Quinze longues années de procédures, d’auditions, de perquisitions feutrées et de silences diplomatiques pour que la justice française ose, enfin, poser un point final à l’enquête sur les « biens mal acquis » de la famille Bongo. Un dossier aussi tentaculaire qu’un pipeline pétrolier, aussi délicat qu’un contrat de défense franco-africain, et surtout… aussi symbolique que gênant pour tout le petit monde de la Françafrique.
Le 28 mars dernier, le juge d’instruction parisien en charge de cette affaire a officiellement clôturé ses investigations. Une annonce sobre, presque timide, transmise à l’AFP comme on enverrait une carte postale depuis les limbes judiciaires. Rappelons les faits : la dynastie Bongo, qui a régné sans partage sur le Gabon depuis l’époque du transistor, est accusée d’avoir accumulé en France un patrimoine immobilier estimé à 85 millions d’euros. Rien que ça. Appartements haussmanniens, villas cossues, comptes bien garnis – la panoplie parfaite du parfait rentier… sauf que ce capital aurait été construit avec l’argent du contribuable gabonais, sans son consentement, ni son intérêt.
Cerise sur le gâteau moisi : la BNP Paribas est elle aussi citée. On ignore encore si la banque était complice, négligente ou simplement trop occupée à compter les billets pour s’interroger sur leur provenance. En tout cas, l’affaire révèle une fois de plus à quel point certaines institutions financières excellent dans l’art du flou artistique, surtout quand les dépôts viennent de pays au sous-sol généreux.
Mais le plus savoureux reste l’épisode récent qui donne à ce feuilleton judiciaire un rebondissement inattendu : le coup d’État d’août 2023. En renversant Ali Bongo, les militaires gabonais ont non seulement changé le cours politique du pays, mais aussi rendu obsolète l’immunité présidentielle de l’intéressé. Ali, longtemps intangible, devient soudainement justiciable. Il n’est pas encore mis en examen, certes, mais son ombre plane désormais au-dessus du dossier comme une épée de Damoclès parfumée au kérosène d’Elf.
Et pendant que le Parquet national financier (PNF) affine ses réquisitions, que la France se débat entre hypocrisie diplomatique et bonne conscience judiciaire, le peuple gabonais, lui, regarde. Peut-être avec espoir, sûrement avec lassitude. Car derrière les grandes envolées sur la fin de la corruption et la moralisation des élites se cache une question crue : verra-t-on, un jour, l’argent revenir au Gabon ? Et si oui, pour faire quoi ? Reconstruire un hôpital ? Asphalter une route ? Ou acheter d'autres berlines pour les nouveaux maîtres du moment ?
Il serait tentant de croire que cette affaire marque la fin de la Françafrique. Ce serait mal connaître ses métamorphoses. Elle ne meurt jamais. Elle change de costume, de discours, de décor. Mais ses rouages ces connivences troubles entre pouvoir politique, intérêts économiques et silence diplomatique restent bien huilés. Comme les comptes en Suisse.
En attendant, la justice française a promis une décision « prochainement ». Dans le lexique judiciaire, ce mot signifie tout et son contraire. En Afrique comme en Europe, le temps de la justice n’est pas celui des peuples. Mais qu’importe : l’histoire, elle, a de la mémoire. Et parfois, elle revient frapper à la porte des palais, même les mieux gardés.
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