Le 28 juin 1985, un hélicoptère s’écrasait en pleine forêt gabonaise, emportant dans sa chute une dizaine de Gabonais, journalistes et militaires, au service d’une mission présidentielle. Quarante ans plus tard, dans un pays où les trous de mémoire sont plus vastes que la forêt équatoriale elle-même, il faut se battre pour que Makongonio ne reste pas un simple nom à consonance exotique dans un vieux dossier d’archives moisi par l’humidité et l’oubli.
Car oui, le Gabon a sa façon bien à lui de traiter les tragédies : on les étouffe dans les lianes de l'indifférence, on les emballe dans un silence plus dense que le nuage qui a masqué l’arbre fatal ce jour-là. Ce crash, pourtant l’un des plus meurtriers de notre histoire, n’a jamais eu droit à un monument, encore moins à une commission d’enquête. Pas même un panneau en bord de route. À croire que les morts n’étaient pas assez morts pour mériter un peu de marbre ou de mémoire.
À bord de l’hélicoptère : des plumes de la presse nationale, des voix de la RTG2, des militaires loyaux, une gendarmette. Tout un microcosme de la République en déplacement, version jungle et mission présidentielle. Lorsque l’appareil percute un arbre (un vrai ! pas une métaphore administrative), c’est tout un pan de notre mémoire collective qui s’écrase en même temps.
Mais dans ce désastre, il y a eu des survivants. Et mieux encore, des héros. Pierre Ndouong, par exemple, forestier de cœur et de flair, qui a su faire manger de la boue et des feuilles aux rescapés, pour les maintenir en vie. Aujourd’hui, il serait probablement recalé d’un concours d’administration forestière pour absence de diplôme, mais qu’importe : il a sauvé des vies.
Et que dire de Jean-Rémy Mackaya, qui, dans une scène digne d’un tragédie grecque, a eu la dignité de replacer la tête décapitée de son supérieur près de son corps ? À Makongonio, l’humanité ne s’est pas écrasée avec l’hélicoptère, elle a survécu dans les gestes de ceux qui sont restés debout. Pendant ce temps-là, à Libreville, on sirotait des cocktails en salle climatisée.
Mais au fait, qu’a-t-on fait depuis ? Rien. Aucun mémorial, aucune médaille posthume, pas même un timbre commémoratif. L’État a préféré regarder ailleurs, comme souvent. Makongonio n’a pas eu droit à son “Devoir de Mémoire”. Peut-être parce qu’aucun ministre n’était à bord. Peut-être parce que les morts étaient « juste » journalistes et militaires. Peut-être aussi parce qu’admettre qu’un vol présidentiel s’est crashé faute de visibilité, d’entretien ou de procédure, ça fait désordre dans les livres d’histoire.
Alors on se contente d’hommages discrets, souvent portés par des survivants fatigués et des familles endeuillées, qui commémorent seuls, avec des bougies, des photos vieillies, et des silences trop longs.
Makongonio, c’est le nom d’un drame. C’est aussi le nom d’un scandale : celui de l’oubli institutionnalisé. Une République qui enterre ses morts sans mémoire, c’est une République qui creuse chaque jour la tombe de sa propre Histoire. Et si, pour une fois, on se souvenait avant qu’il ne soit trop tard ? Makongonio mérite mieux que des murmures. Il mérite une voix. Une stèle. Et une vérité.
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