Il était une fois, dans un Gabon post-coup d’État, un projet merveilleux lancé sous les hourras d’un peuple en quête de solutions concrètes : Taxi Gab+, le taxi qui devait redonner du volant aux jeunes et freiner net le chômage. À Libreville, on se prenait à rêver : enfin un taxi sans bosses, climatisé, propre comme une ordonnance présidentielle, et conduit par un jeune entrepreneur tout sourire. Las ! Quelques mois plus tard, c’est la panne sèche. Et tout le monde s’écharpe au bord de la route.
Le 7 mai dernier, la direction générale du projet dans un élan de fermeté digne d’un garrot bien serré a sommé les conducteurs de payer ou dégager. En langage administratif : “régularisez vos dettes ou vos voitures seront immobilisées, puis retirées sans autre forme de procès”. Charmante ambiance. Le directeur général, Curt Myricks Fouty Obeye, s’est même fendu d’un communiqué aussi chaleureux qu’une climatisation en janvier : trois jours de retard contrat résilié, sans appel. Même l’huissier du quartier n’aurait pas osé.
Du côté des chauffeurs, c’est la consternation. 22 000 francs CFA par jour, qu’il pleuve, qu’il vente, qu’on soit malade ou hospitalisé. Même immobilisé, le compteur tourne. Une sorte de taxi-mètre existentiel où, pour survivre, il faut rouler quitte à avaler un poteau, un piéton ou sa propre dignité.
Les pneus ? À leurs frais. Les entretiens promis comme gratuits ? Une douce illusion. Et si vous avez le malheur de tomber malade, le projet ne vous envoie pas un médecin, mais plutôt un avis de rappel.
Une belle idée... qui roule sans ceinture
Mais ne jetons pas le bébé avec l’eau du lave-glace. L’idée, sur le papier glacé des communiqués officiels, est belle : moderniser le transport, créer de l’emploi, redonner fierté et autonomie à la jeunesse gabonaise. On ne peut pas décemment crucifier un projet qui a, en quelques mois, sorti des centaines de jeunes de la galère.
Seulement voilà : entre les discours et les routes défoncées de Libreville, il y a souvent un fossé. Et Taxi Gab+, aujourd’hui, y est enfoncé jusqu’au pare-chocs. L’entreprise brandit son contrat comme la Constitution du projet, affirmant que les chauffeurs ont tout lu, tout compris, tout accepté. Vraiment ? Parce qu’on a du mal à croire qu’un jeune désœuvré, heureux de sortir enfin du chômage, ait pris le temps d’analyser les petites lignes entre deux signatures. Peut-on parler de “libre consentement” quand l’alternative, c’était le bitume ou l’ennui ?
Appel à la paix des braves (et des débiteurs)
Soyons sérieux juste un instant. Entre les cris de dettes et les menaces d’immobilisation, un compromis s’impose. Car ce projet, malgré ses travers, a le mérite d’exister. Il a mis des clés dans les mains de jeunes sans avenir. Il a repeint nos rues avec des voitures neuves (quand elles sont encore en état). Il a permis de croire qu’au Gabon aussi, l’innovation sociale pouvait avoir un moteur.
Mais de grâce, rendez-le humain. Révisez les clauses les plus rigides. Introduisez un soupçon de sécurité sociale, une pincée de souplesse, un zeste de compréhension du réel. Et aux chauffeurs, soyons francs : jouez le jeu. Un contrat est un contrat. Et fuir ses engagements, c’est scier la branche sur laquelle repose l’espoir de milliers d’autres jeunes qui n’ont pas eu votre chance. Taxi Gab+ peut encore arriver à destination. Mais pour cela, il faudra que chacun ralentisse, écoute l’autre, et surtout : mette sa ceinture de solidarité.
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