(*) Par Hyacinthe Marcel M'ba Allogho
Si personne n’y prend garde, le fossé qui se creuse entre nos parlementaires et nous risque de finir en foire d’empoigne. Ces gens là semblent avoir oublié pourquoi ils sont à l’Assemblée Nationale et au Sénat. Ils se prennent pour une équipe de football dont ils sont tous des Messi. Nous ne serions dans leur indifférence que de simples spectateurs impuissants devant leurs performances, applaudissant leurs rares prouesses et marmonnant après les défaites. Parce que leur mandat en poche, ils n’ont plus rien à nous dire et nous aucun compte à leur demander. A ce niveau d’inconsidération, il devient urgent de leur rappeler comment ils sont arrivés là et pour quoi faire.
Nous avons choisi la République comme mode de gestion et de fonctionnement de notre pays. Cela signifie que moi, le journaliste, je ne dois pas attendre plus de l’Etat que mon compatriote qui vit de cueillette et de pêche au fin fond de Minkébé. Pour vivre il nous faut prendre des décisions ensemble. Chacun des deux millions d’habitants que nous sommes doit présenter son besoin à tous et le faire accepter pour qu’il soit satisfait. Mais tout besoin personnel étant de nature prioritaire sur celui du voisin, le consensus est absolument impossible à trouver avec cette formule. Pire encore, il n’existe aucune place au Gabon qui peut accueillir au même moment les deux millions de citoyens que nous sommes. Ouvrez une telle réunion un 1er janvier, le 31 décembre vous en serez encore à discuter de l’agencement du passage de ceux qui veulent prendre la parole et de l’ordre du jour à faire adopter.
Alors, pour nous permettre d’être libérés de cette contrainte et tranquillement vaquer à nos occupations, nous avons choisi de déléguer nos pouvoirs. D’abord celui de décision, d’action et de gestion à un président de la République qui devient le détenteur unique de notre capacité collective à agir. Mais comme c’est un être humain qui pourrait avoir par envie ou par erreur l’occasion d’étendre à l’excès un pouvoir dont nous ne lui avons confié qu’un bout, nous lui avons ensuite collé des parlementaires de toute coloration politique qui doivent contrôler son action. Entre les deux, nous avons mis une cloison étanche de totale indépendance. C’est très caricatural, mais c’est comme ça que ça marche chez les autres.
Ça ne marche malheureusement pas comme chez nous. Nos parlementaires sont tellement copains-coquins avec l’Exécutif qu’ils ont abattu le mur en béton que nous avons érigé pour les séparer. On dirait même à certains moments qu’ils sont les obligés du pouvoir exécutif, de vrais vassaux. Nous l’avons subodoré en avril 2016 quand le président de la République a explosé cette séparation en convoquant les parlementaires du PDG à la présidence, déplaçant les députés et sénateurs sur son lieu de travail où ils n’ont rien à faire sous leur statut. C’était au lendemain de la démission de Guy Nzouba Ndama du PDG. Cette incongruité aggravée séance tenante par la sortie malheureuse de François Ango Ndoutoume le député de Minvoul qui a glacé notre entendement : ʺIl reste une centaine de députés qui sont aux ordres… du président de la Républiqueʺ. Il ne faisait d’ailleurs que prolonger l’idée que son propre président de groupe parlementaire se fait de son rôle. André Dieudonné Berre n’a-t-il pas dit au même moment et à la même occasion que le chef de l’Exécutif pouvait compter sur les députés de son parti pour l’accompagner ? Eh oui !!! L’accompagner et non plus le contrôler comme il devrait le faire.
Nous qui pensions alors que la démarche était une erreur, quoi que grave, avons eu la confirmation du glissement le 1er juillet 2015 à la suite d’un autre clash, la démission de Barro Chambrier et de ses anciens amis du RHM. Même circonstances, même endroit, mêmes acteurs, la scène a été rééditée. Comme quoi, le ʺvous êtes les représentants du gouvernement à l’Assemblée Nationaleʺ à leur endroit d’Ali Bongo a été bien entendu, bien compris. Si bien compris que quelques mois plus tard, recevant la déclaration politique générale du nouveau premier ministre Alain-Claude Billié- By-Nze, le président du groupe parlementaire PDG à l’Assemblée Nationale a enfoncé le clou avec un sacré zèle en plus. Il a gratifié le premier ministre du grade non singulier de chef de la majorité parlementaire. Un dévoiement public de sa mission de parlementaire.
(*) Journaliste
Dès lors, nous comprenons pourquoi rien de ce que décide le gouvernement n’est ni retoqué, ni même simplement modifié par nos députés et les sénateurs. Les lois sont adoptées telles que proposées à la virgule près, faisant de notre parlement non plus une institution de contrôle, mais une simple chambre d’enregistrement. La passivité devient même complicité quand des textes qui touchent à notre vie quotidienne ou à notre essence sociale sont adoptées sans même nous en informer avant, sans rien nous expliquer après. Nous apprenons par exemple que par la grâce de nos élus nous sommes désormais membres du Commonwealth. Personne ne nous a dit ni pourquoi, ni comment, ni quels avantages on en tire. On nous dit malgré notre détresse énorme que nous ne devons plus rien faire contre les éléphants qui dévastent nos plantations et tuent nos parents sous peine de prison.
Un matin, nous nous réveillons avec un code de la famille qui chamboule considérablement nos relations avec nos épouses. Personne n’a pris le soin de nous prévenir ni de nous dire pourquoi il fallait absolument lâcher l’ancien qui ne nous posait aucun problème pour devoir calquer celui d’autres civilisations qui ont mis des millénaires à peaufiner le leur en l’adaptant à leurs mœurs. Nous regardons la télé un soir et nous apprenons avec toute la brutalité du monde que l’homosexualité n’est plus un délit chez nous, dans un pays où les valeurs culturelles de toutes ses composantes honnissent la pratique. Nos parlementaires ne travaillent plus pour nous. Ils travaillent sans nous mais pour eux-mêmes en allant dans le sens dicté par l’Exécutif. C’est pour cela que leurs initiatives pour nous protéger déjà si rares, sont abandonnées quand elles pourraient gêner ou débouchent sur des résultats accablants pour le gouvernement. L’attaque contre le QG de campagne de Jean Ping le 31 aout 2016 aurait certainement mérité une enquête parlementaire, des Gabonais y ont été tués. Même si elle finissait dans les tiroirs comme celle, quand même initiée sur la gestion du Covid mais aux résultats si préjudiciables pour le gouvernement qu’ils n’ont jamais publiés, elle aurait au moins eu le mérite d’avoir existé.
Le plus grave encore, c’est quand ils se permettent de changer les règles de notre code de vie commune sans daigner demander notre avis. Depuis 2009 sous la dictée de l’Exécutif, notre Constitution a été modifiée trois fois au moins sans qu’on ne sache pourquoi et ne puissions nous prononcer. Comme si ce texte de lois ne nous engage en rien alors qu’il y est clairement indiqué que notre acceptation ou refus par voie référendaire peuvent être sollicités, et que la logique du respect de leur mandat voudrait qu’ils le soient souvent ? Une question simple alors que nous sortons d’une bonne blague déguisée en concertation politique destinée à apaiser les élections et leur donner la crédibilité nécessaire dans leurs résultats, alors qu’on les soupçonne de préparer de nouvelles ratures sur cette Constitution : Combien de temps croient-ils que ça va durer ?
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