Ce qui devait être une traversée banale entre Libreville et Port-Gentil est devenu, le 9 mars 2023, une plaie béante dans la mémoire collective du Gabon. Le naufrage de l’Esther Miracle n’a pas seulement englouti des dizaines de vies dans les eaux troubles de l’Atlantique ; il a plongé toute une nation dans un deuil interminable, rythmé par les silences d’État, les discours creux et les hommages officiels au goût d’eau salée.
Deux ans plus tard, le procès s’est enfin ouvert. Un miracle, presque aussi improbable que l’état de navigabilité du navire lui-même. Et si certains espéraient une procédure digne et limpide, la salle d’audience du tribunal de Libreville ressemble pour l’instant plus à une pièce de théâtre judiciaire qu’à un temple de vérité.
Le vendredi 25 juillet dernier, alors que le pays retenait son souffle à défaut d’avoir retenu le bateau le verdict tant attendu a été reporté au 7 août. La raison ? Les avocats des victimes ont, avec justesse, demandé que les anciens décideurs politiques viennent témoigner. Après tout, si l’État ne monte pas à bord de cette procédure, qui va assumer les décisions prises sur terre ayant conduit à la mort en mer ?
« Il n’est pas normal que nous ouvrions cette audience sans entendre ceux qui étaient en responsabilité », tonne Me Anges Kevin Nzigou, visiblement fatigué de crier dans un tribunal qui n’écoute que d’une oreille juridique sélective.
Pendant ce temps, les prévenus agents de l’État moisissent en détention préventive depuis deux ans, ce qui dépasse le délai légal, mais visiblement pas le seuil de tolérance administrative. « L’État n’est même pas impliqué dans cette affaire, mais ses agents croupissent en prison. C’est comme juger le capitaine sans interroger l’armateur », ironise Me Tony Serge Minko-Mi-Ndong, qui tente de naviguer à vue dans ce procès sans gouvernail.
Et pourtant, derrière la joute oratoire des robes noires, ce sont des familles entières qui attendent, désespérément. Pour certaines, ce procès est la seule bouée de sauvetage émotionnelle qu’elles espèrent encore. Une lumière dans le brouillard de l’oubli. Car oui, il y a encore des mères qui rêvent de sépultures dignes, des enfants qui demandent ce qu’est devenu papa, des épouses qui dorment chaque nuit avec l’écho des vagues. Mais attention, ici, le deuil se fait à la gabonaise : lentement, bureaucratiquement, et sous condition de report d’audience.
Et si l’on en croit le calendrier judiciaire, le 7 août pourrait devenir une date historique. Soit la justice hisse enfin les voiles de la vérité, soit elle nous rejoue, une fois encore, le ballet des responsabilités diluées dans les flots de la diplomatie d’apparence. En attendant, l’Esther Miracle n’a pas fini de hanter les eaux territoriales, ni les consciences nationales. Car si le navire a coulé, c’est surtout l’État qui semble à la dérive.
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