(*) Par Thérence Gnembou Moutsona
Il est heureux de constater les effets de l’approche de la présidentielle sur le gouvernement : à cinq mois de la date supposée des élections, le gouvernement consent enfin à organiser des assises sur la vie chère, ce fléau qui depuis trois ans pèse lourdement sur le quotidien de nos concitoyens sans qu’aucune réponse n’ait encore été apportée. Reste à espérer que les solutions proposées soient enfin à la hauteur de l’enjeu.
Covid 19, guerre en Ukraine : les crises successives qui ont secoué la planète ont conduit à une flambée des prix partout dans le monde. Le Gabon ne fait tristement pas exception à cette inflation généralisée, dont nos concitoyens font l’expérience quotidiennement. Selon le ministère de l’Économie, le taux d’inflation du Gabon s’était établi à 3,5 % à fin juin 2022, avec un accroissement notable des prix des denrées alimentaires, pain (+5,9 %), tubercules plantains (+6,1 %), volaille (+5,5 %) et bœuf (+2,3 %) en tête. Il n’est guère surprenant que Libreville se classe comme la deuxième ville la plus chère d’Afrique et la 24ème dans le monde selon le classement Mercer 2022.
Ces quelques données illustratives du quotidien des Gabonais sont évidemment à mettre en regard avec le niveau de revenu de nos concitoyens, qui quant à lui ne cesse de décroître, avec un niveau de pauvreté dramatique puisqu’un tiers de la population, soit près de 700.000 Gabonais, vit aujourd’hui en-dessous du seuil de pauvreté, avec moins de 1.300 FCFA par jour.
Dès lors, se nourrir, se vêtir, se soigner, se déplacer… deviennent autant de difficultés pour les Gabonais dont le pouvoir d’achat ne cesse de s’effriter.
Face à cette situation dramatique, tandis que tant d’autres pays engageaient des réflexions de fond et des plans de grande envergure pour offrir à leurs concitoyens des solutions aux problèmes de vie chère, le gouvernement gabonais s’est illustré par l’indigence de ses réponses, avec pour seule mesure phare le blocage des prix de certains produits de première nécessité. En dépit des grandes communications orchestrées autour de ces mesures, les Gabonais ne peuvent que constater qu’elles auront été très largement insuffisantes pour enrayer la spirale de la pauvreté au Gabon.
Insuffisantes, ces mesures l’ont été d’abord par les produits concernés, à savoir à peine 58 produits en 2019 et 48 en 2022, représentant moins du tiers du panier de la ménagère, choisis par rapport aux habitudes de consommation à Libreville, donc peu représentatifs des habitudes de consommation dans l’ensemble du pays, et exclusivement alimentaires. N’auront été pris en compte aucun autre bien ou service de grande consommation : habillement, éducation, santé, transport…, pourtant également indispensables à la vie quotidienne des Gabonais. A titre comparatif, l’Argentine confrontée au même problème d’inflation, a quant à elle réglementé les prix de pas moins de 1.700 produits – près de trente fois plus que les produits visés par les deux pauvres mercuriales du gouvernement gabonais !
Insuffisantes, ces mesures le sont également par les réponses apportées. Limitées dans le temps, et peu respectées en raison d’un manque de contrôles, ces mesures de plafonnement des prix n’auront pas suffi à enrayer les prix, voire auront dans certains cas produit l’effet contraire et participé à la flambée des prix.
Surtout, une fixation arbitraire des prix n’est qu’une solution de facilité, qui aurait dû s’accompagner de mesures plus profondes. Des leviers existent au niveau des pouvoirs publics, qui auraient pu être activés pour agir structurellement sur les niveaux de prix, comme une baisse de la fiscalité et de la parafiscalité associées (TVA et CSS) ou une réduction des droits de douane sur ces produits généralement importés.
Enfin et surtout, les mesures affichées n’auront visé qu’à pallier l’urgence du moment, dans une vision très court-termiste, ciblant exclusivement le panier de la ménagère, sans offrir de solution durable au problème. De fait, les problèmes d’inflation ont mis en évidence une problématique structurelle majeure du Gabon, à savoir que le pays importe l’essentiel de ses produits de consommation, et notamment plus de 80 % de ses denrées alimentaires. Ceci a bien sûr pour effet d’alourdir notablement le coût des biens de consommation, impactés notamment par les coûts de transport ; cela a également pour conséquence un moindre contrôle du Gabon sur le prix de ses biens de première nécessité.
La question de la production au Gabon, et tout particulièrement de la production agro-alimentaire, et plus largement de la réforme en profondeur de notre système économique, aurait depuis longtemps dû être posée pour offrir au pays une perspective de moyen-long terme. A ces questions majeures, aucune réponse n’a été apportée par l’Etat gabonais.
Insuffisantes, enfin, les mesures anti-vie chère du gouvernement le sont aussi et surtout parce qu’elles n’adressent qu’une moitié du problème. De fait, le problème de pouvoir d’achat vient de la flambée des prix évidemment mais également de la diminution des revenus des ménages. La difficulté à s’approvisionner en produits de grande consommation ne serait pas si criante si les revenus des ménages n’avaient pas stagné voire diminué tandis que les prix explosaient.
En effet, suite à la récession économique de 2020, un ménage sur quatre a subi des pertes d’emploi ; à ce jour, près d’un quart des Gabonais est sans emploi, et 40% des jeunes de 15-24 ans. En l’absence de tout filet social, le taux de pauvreté a sensiblement crû, dépassant 34 % en 2021, contre 32,4 % en 2019, soit 32.000 nouveaux pauvres entre 2019 et 2021.
Le PIB réel par habitant en 2020 était inférieur de 20% à celui de 1990. Dans ce contexte, adresser le problème de la cherté de la vie ne aurait se limiter à des effets d’annonce sur le panier de la ménagère : la question de la cherté de la vie implique d’agir sur les revenus des plus démunis ou des personnes vulnérables, et tout particulièrement les personnes âgées et les jeunes n’ayant pas encore réussi à s’insérer socialement dans la vie active.
Le Gabon aurait pu s’inspirer d’autres pays, dont les mesures contre la vie chère ont inclus des actions sur les salaires et les pensions de retraite, des aides aux dépenses de santé, un soutien à la scolarité et au transport ou encore des subventions sur les dépenses énergétiques : autant de mesures ayant pour effet d’alléger la pression sur les dépenses courantes.
Certes, les Gabonais peuvent se résoudre à ce que leurs élections soient volées, à ce que leurs hommes politiques soient majoritairement corrompus ou sans convictions, à ce que leur pays ne se développe pas en dépit de ses richesses considérables. Mais combien de temps pourront ils supporter d’avoir faim ? de ne plus pouvoir nourrir correctement leurs enfants ? de ne plus être en capacité de s’acheter l’essentiel ?
Pour pouvoir espérer des élections sans heurts, les leaders politiques gabonais, plutôt que de perdre leur temps en mascarade de concertation politique, seraient bien inspirés de prendre la mesure de la détresse profonde de leurs concitoyens et de prendre à cœur de régler, sur le fond et définitivement, le problème de la vie chère de nos compatriotes ».
(*)Président du PRC ( Parti du Réveil Citoyen)
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