Marlène Essola lors de sa conférence de presse.
Libreville n’a pas tremblé le 29 novembre 2025, mais les murs du Palais de justice, eux, ont sans doute vibré. En cause : une juriste, Marlène Fabienne Essola Efountame, qui a décidé de rappeler à l’Ordre des avocats du Gabon que la loi n’est pas une suggestion, et encore moins un accessoire de mode réservé aux robes noires amidonnées.
L’histoire commence par une lettre du Barreau. Une missive au ton martial, signifiée par acte du siège rien que ça à celle qui aurait commis le plus intrépide des délits : avoir utilisé, en public, le titre de “Maître”. Une audace qui, à en croire la réaction outrée de l’Ordre, doit se situer quelque part entre le crime de lèse-majesté et l’usage abusif de papier timbré.
Quand la comédie devient tragédie institutionnelle
À la réception du courrier, Marlène Essola éclate de rire. Un rire franc, du genre qui annonce qu’un cataclysme va suivre. “J’ai cru qu’on voulait me recruter”, ironise-t-elle. Mais la plaisanterie ne survit que quelques secondes. Très vite, la juriste comprend que la missive n’a rien d’un clin d’œil corporatif. C’est une sommation, une forme de rappel à l’ordre qui fleure bon le corporatisme poussiéreux. Le Barreau, drapé dans sa mission sacrée de protection des justiciables, lui reproche l’“usurpation” d’un titre réservé aux avocats. L’argument, présenté comme une cause nationale, ressemble surtout à un réflexe pavlovien de défense de territoire.
Le droit, ce vieux livre que certains avocats ne feuillettent visiblement plus
La réponse de Marlène Essola tient du manuel d’instruction civique pour professionnels amnésiques. Primo : le titre de “Maître” n’a jamais été l’apanage exclusif des avocats. Secundo : huissiers, notaires, greffiers, professeurs agrégés, tous en font usage sans provoquer de crise institutionnelle. Tertio : aucune loi gabonaise ne réserve cet usage à un corps de métier précis.
En résumé, le Barreau a voulu défendre une exclusivité qui n’existe que dans son imaginaire. Une exclusivité que la loi 2/88 du 23 septembre 1988, toujours en vigueur, pulvérise même en reconnaissant noir sur blanc aux conseils juridiques le droit d’assister et de représenter les justiciables devant toutes les juridictions. Une réalité qui, apparemment, n’a pas encore été téléchargée dans les mises à jour internes du Palais. Quand l’exception de procédure devient une arme, anti-concurrence.
La juriste est allée plus loin, dénonçant ce qu’elle nomme une “intimidation institutionnelle”, savamment emballée dans la rhétorique de la protection du justiciable. Selon elle, certains avocats multiplient les exceptions de “défaut de qualité” contre les conseils juridiques devant les juges. Non pas pour défendre la loi, mais pour défendre leur territoire, leurs honoraires, et leur prestige. Du juridisme version mafia douce. Ce n’est pas une guerre juridique. C’est une guerre commerciale déguisée en débat doctrinal.
Le ministère de la Justice, grand oublié volontaire
Un détail semble échapper aux partisans du monopole : les conseils juridiques ne relèvent pas du Barreau. Pas plus qu’un notaire ne relève d’un club de foot. Ils sont encadrés par le ministère de la Justice. Point. La tentative du Barreau de s’ériger en autorité hiérarchique sur des professionnels qui ne dépendent pas de lui ressemble fort à un excès de pouvoir… en costume trois pièces. Et qui dit excès de pouvoir dit contentieux administratif, un terrain où le Barreau risque de perdre plus de plumes que prévu. Et si le vrai problème, c’était l’accès au droit ?
Parce que derrière le débat sur un titre, se cache un enjeu autrement plus sérieux : celui d’un accès équitable à la justice. Marlène Essola rappelle que les conseils juridiques sont souvent : plus accessibles financièrement, plus proches des populations, et plus diversifiés dans leurs domaines d’intervention. Autrement dit, leur existence empêche l’émergence d’un monopole élitiste qui laisserait les justiciables modestes sur le carreau. On comprend mieux pourquoi certains voudraient les renvoyer à l’arrière-cour.
Les “kongossas juridiques” comme gouvernance
Dans un final ciselé, la juriste appelle à l’apaisement, tout en invitant les institutions à arrêter de gouverner par rumeur, interprétation fantaisiste et potins juridiques. Les “kongossas juridiques”, dit-elle, doivent cesser. Autrement dit : moins de commérages, plus de droit. Son intervention a au moins eu un mérite : exposer au grand jour un conflit que l’on tentait de régler en coulisses, dans les salons sombres où les robes se froissent plus vite que les lois ne s’appliquent. Reste à savoir si le Barreau acceptera d’ouvrir les fenêtres.
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