Le rideau se lève. Enfin, presque. Nicole Assélé, médecin-colonel, ex-ministre, directrice de tout ce qui compte et désormais écrivaine, a décidé de secouer les vieilles certitudes en publiant Moi, Éternelle Apprentie. Un livre où elle raconte son initiation et son parcours de 34 ans au sein de la franc-maçonnerie. Oui, vous avez bien lu : une femme, gabonaise, ose parler de cette confrérie mystérieuse, tant redoutée par certains et fantasmée par d’autres.
Franc-maçonnerie au Gabon : mythe, réalité et fantasmes collectifs
Depuis des décennies, la franc-maçonnerie est au Gabon ce que le Graal est aux chevaliers : un objet de quête, d’incompréhension et parfois de délire collectif. À écouter les rumeurs de comptoir, on y entre par une porte secrète, on sacrifie des boucs (ou pire, des ambitions politiques) et on y gagne des passe-droits en béton armé.
Nicole Assélé, elle, présente un tout autre récit. Dans son livre, elle évoque son entrée à 26 ans dans cet univers “pour transformer ses défauts en qualités”. Exit les fantasmes d’une secte obscure tirant les ficelles du pouvoir, place à une organisation où l’on prône rigueur, persévérance et… silence. Ah, ce fameux silence, que tant d’initiés pratiquent avec un zèle admirable, surtout lorsqu'il s'agit d’expliquer pourquoi tant de personnalités influentes du pays en font partie. Mais avec Moi, Éternelle Apprentie, Assélé ose parler. Un peu. Juste assez pour titiller la curiosité du profane sans pour autant dévoiler la recette du succès maçonnique.
Un livre, une révélation… ou un tour de passe-passe ?
La présentation de l’ouvrage à la Chambre de commerce de Libreville fut à la hauteur du mystère ambiant. L’éloge y fut aussi structuré qu’un rituel initiatique. Pascal Binéné, critique littéraire, salue un livre “détaillé page par page”, tandis qu’Éric Joël Békalé, président de l’Union des écrivains gabonais (UDEG), le qualifie de “scientifique”. Comprendre : c’est sérieux, c’est documenté, mais ne vous attendez pas à un Wikileaks de la franc-maçonnerie gabonaise.
L’auteure, quant à elle, défend une volonté de vulgarisation. “Nous y entrons pour réfléchir au devenir de nos sociétés”, explique-t-elle. Voilà qui est noble. Mais pourquoi alors tant de mystères et d’opacité autour d’une organisation qui, selon elle, ne cache rien d’inavouable ?
Entre symboles et stratégie : un livre bien (trop ?) calibré
Comme tout bon maçon, Nicole Assélé soigne le détail symbolique. Le livre paraît à l’occasion des 30 ans de la Loge féminine gabonaise. Un hasard ? Évidemment non. Tout est codifié, tout est pensé. “Ici, tout est symbole”, affirme-t-elle.
Et de fait, Moi, Éternelle Apprentie suit un schéma tripartite digne des structures initiatiques : L’entrée en maçonnerie, où la jeune Nicole découvre un monde feutré et rigoureux. L’ascension et la pratique, où elle évolue dans un univers d’échanges intellectuels. Les symboles, où elle décrypte l’essence même de son engagement.
Une construction efficace, certes, mais qui laisse un goût d’inachevé. Car si Assélé éclaire la démarche maçonnique, elle n’en dit pas assez sur ce qui attise réellement les curiosités : les réseaux, les influences, les choix de carrière si bien “guidés”.
Un coup de com’ ou un vrai engagement littéraire ?
En publiant ce livre, Nicole Assélé fait-elle œuvre de pédagogie ou orchestre-t-elle une stratégie bien huilée ? C’est la grande question. L’ouvrage, vendu à 20 000 francs CFA, ne révolutionnera sans doute pas la perception populaire de la franc-maçonnerie, mais il a au moins le mérite d’exister.
Dans un pays où ce sujet reste tabou, Moi, Éternelle Apprentie est un pari osé. Un pied dans la lumière, l’autre bien ancré dans l’ombre des loges. Une manière de dire “je vous explique sans trop vous dire”, tout en entretenant l’aura de mystère qui fait la force de la franc-maçonnerie. Une initiation littéraire, donc, mais qui laisse le lecteur sur le seuil du temple. À lui de trouver la clé.
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