Le feuilleton de la présidentielle gabonaise nous offre décidément des rebondissements à la hauteur de la créativité politique locale. Dernier épisode en date : Pierre-Claver Maganga Moussavou, recalé par la Commission nationale d’organisation et de coordination des élections et du référendum (CNOCER), refuse de se plier à la sentence du droit et en appelle… à la clémence présidentielle.
Oui, vous avez bien lu. Le président du Parti social-démocrate (PSD), ancien vice-président de la République et vétéran des joutes électorales, ne conteste pas le verdict juridique. Il ne paie pas sa caution de 30 millions de FCFA. Il ne tente même pas un recours devant la Cour constitutionnelle. Non. Il fait ce que tout bon acteur politique habitué aux arrangements feutrés ferait : il espère une intervention bienveillante du Général-Président Brice Clotaire Oligui Nguema.
Quand la politique devient un dispensaire de faveurs
Maganga Moussavou ne croit pas en la justice constitutionnelle, mais il croit en la "politique qui prime sur le droit". Il le dit lui-même : « Si le président réfléchit et comprend que ma présence dans la course est importante, vous apprendrez que je suis candidat. » Une approche aussi subtile qu’un éléphant dans un magasin de porcelaine.
Derrière cette déclaration se cache une vision bien gabonaise du jeu politique : la loi est une suggestion, à la discrétion du prince du moment. Peu importe qu’il ait lui-même combattu (sans succès) l’article 43 de la nouvelle Constitution, qui fixe à 70 ans la limite d’âge pour se présenter à la magistrature suprême. Peu importe qu’il n’ait pas jugé bon de s’acquitter de la caution requise. Ce qui compte, c’est que son destin repose désormais sur une décision éminemment politique, quitte à mettre le Président de la Transition dans une situation fort délicate.
Oligui Nguema face à son propre précédent
Car le problème est là. À Mitzic, en décembre dernier, le Chef de l’État avait déclaré, droit dans ses bottes, qu’il ne pouvait pas faire libérer son "frère d’armes" Kelly Ondo Obiang, pourtant acteur clé du coup d’État d’août 2023. « La loi s’applique à tous », avait-il martelé. Mais voilà qu’aujourd’hui, Maganga Moussavou le somme de reconsidérer cette même loi, sous prétexte que le débat politique s’enrichirait de sa présence.
Si Oligui Nguema cède à la pression, il envoie un message limpide : la loi est une contrainte pour certains, un ajustable pour d’autres. Une jurisprudence présidentielle des plus hasardeuses, qui pourrait se retourner contre lui à l’avenir. Car si on commence à ouvrir la porte aux dérogations, qui empêchera demain d’autres recalés de réclamer le même privilège ?
Une démocratie à la carte
Le cas Maganga Moussavou illustre parfaitement la grande schizophrénie du débat démocratique au Gabon. D’un côté, on veut des institutions fortes, une justice impartiale et une régulation stricte du jeu électoral. De l’autre, on rêve encore d’un chef suprême aux pouvoirs providentiels, capable de modifier le destin d’un candidat d’un simple coup de téléphone.
Cette demande d’intervention présidentielle dépasse donc le seul cas de l’ancien vice-président. Elle soulève une question plus large : la transition est-elle un simple ajustement du système politique, où les vieilles pratiques persistent sous de nouveaux habits, ou amorce-t-elle réellement une ère de gouvernance respectueuse des règles établies ?
Pour l’heure, la réponse dépendra de la position du Général-Président. Un refus marquerait une victoire du droit sur l’arbitraire. Une acceptation signerait le retour des arrangements taillés sur mesure. Et dans ce cas, il faudra inventer une nouvelle maxime pour la justice gabonaise : "Dura lex, sed Maganga Moussavou" La loi est dure, sauf pour Maganga Moussavou.
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