Le Gabon vient de découvrir une nouvelle espèce animale : le chameau virtuel, capable de cracher 45 000 francs CFA par jour sans jamais boire ni manger. Mieux qu’un ministre, plus rentable qu’un champ de cacao, plus constant qu’un salaire de la Fonction publique. Bienvenue dans le zoo numérique de Safety Breeding, où la réalité est virtuelle et l’escroquerie bien réelle.
Ce lundi 19 mai 2025, 150 000 Gabonais se sont réveillés ruinés, piégés par une plateforme dont le concept tenait davantage du vaudou financier que de l’investissement rationnel. Le site a disparu, les responsables aussi. Ne restent que les rêves brisés, les captures d’écran de promesses folles et les témoignages déchirants, comme celui de cette jeune femme sur Facebook : « J’ai mis l’argent de ma dot… aujourd’hui je n’ai plus rien. »
La ferme des illusions, édition 3.0
Rappelons le concept pour ceux qui ont échappé au lavage de cerveau collectif : vous achetez un animal virtuel, et il vous rapporte de l’argent chaque jour. Un crocodile à 450 000 FCFA rapporte 20 800 FCFA/jour, un chameau à 900 000 FCFA génère 18 millions en 400 jours. Voilà comment une plateforme sans adresse, sans siège connu, sans régulation, a collecté des milliards auprès de citoyens visiblement plus crédules que patients.
Et tout le monde y a cru. Encore. Après BR Sarl, Sonnedix, Le Coffre de Luxe, et les tontines de la honte. Parce qu’au Gabon, le miracle économique est devenu une religion. Il n’y a qu’ici où l’on préfère faire confiance à un avatar de chameau qu’à un compte d’épargne réglementé.
Un État complice par abandon
Mais le plus grave n’est pas l’arnaque. Non. Le plus grave, c’est l’absence totale de contrôle. L’État observe, les institutions dorment, et les plateformes frauduleuses prolifèrent comme des moustiques en saison des pluies. Jusqu’à quand allons-nous tolérer que n’importe quel clown numérique débarque avec un pitch PowerPoint et reparte avec l’argent du peuple ?
Il est temps de poser la question de la moralité… non plus seulement pour les ministres, mais pour les investisseurs. L’État exige une enquête de moralité pour tout fonctionnaire, tout candidat à une bourse, tout simple agent public. Pourquoi ne pas l’exiger pour ces pseudo-entrepreneurs qui lèvent des fonds comme d’autres vendent des beignets ?
Une régulation absente, des victimes irresponsables
Car soyons clairs : il faut désormais une Direction nationale des illusions perdues, avec un Code pénal de la naïveté aggravée. On ne peut pas pleurer à chaque arnaque en prétendant qu’on ne savait pas. Si un crocodile vous promet plus de 7 millions de francs sans lever une écaille, ce n’est pas un investissement, c’est une fable.
Pourquoi ne pas instaurer une taxe sur la crédulité ? Mieux : des peines symboliques pour les victimes récidivistes. Cela fera réfléchir avant de donner 900 000 francs à une application qui a été codée entre deux coupures d’électricité.
A défaut de protéger les citoyens, éduquons-les
Le rôle de l’État n’est pas seulement de poursuivre les escrocs, mais de prévenir l’escroquerie. Et cela commence par une réforme profonde de notre rapport à l’argent facile. À défaut de fermer les plateformes frauduleuses, ouvrons des écoles d’intelligence financière. À défaut d’enquêter sur les miracles économiques, imposons des tests de bon sens.
Safety Breeding n’a rien inventé : elle a juste exploité notre paresse intellectuelle et notre avidité collective. Et tant que des Gabonais préféreront élever des animaux imaginaires plutôt que des projets réels, les arnaques, elles, continueront de se reproduire. Pas virtuellement. Mais avec de vraies larmes.
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