Depuis des années, ils enseignent sans salaire, sans contrat et sans garantie, offrant leur savoir à des milliers d’enfants gabonais. Pourtant, les enseignants bénévoles continuent d’être traités comme des passagers clandestins du système éducatif, tolérés mais jamais invités à prendre un siège officiel. En conférence de presse ce 3 janvier 2025, la Convention nationale des syndicats du secteur éducation (Conasysed) a décidé de tirer la sonnette d’alarme, non sans une bonne dose d’agacement. « Nous saluons la formation annoncée par le gouvernement, mais saluer n’est pas applaudir », a déclaré Alain Mouagouadi, Délégué général de la Conasysed, d’un ton acéré. « Former ces enseignants, c’est bien. Leur garantir des postes budgétaires, c’est mieux. Sinon, à quoi bon ? Pour en faire des bénévoles surqualifiés ? »
Le bénévolat institutionnalisé
Dans une autre vie, le mot "bénévole" évoquait l’engagement désintéressé, l’altruisme. Mais dans le contexte gabonais, il semble avoir pris un tout autre sens : celui d’un emploi sans droits ni salaire, avalisé par un État qui s’est depuis longtemps habitué à leur précarité.
Avec 1967 enseignants bénévoles recensés, certains en poste depuis 2015, la situation dépasse l’absurde. Ces hommes et femmes se sont engagés pour combler un déficit criant d’enseignants dans les salles de classe. Le ministère, lui, s’en est contenté, se félicitant presque d’avoir trouvé une solution gratuite à ses problèmes chroniques.
Lors de la séance de questions orales à l’Assemblée nationale le 19 décembre dernier, la ministre de l’Éducation nationale, Camélia Ntoutoume Leclercq, avait annoncé une formation de deux ans pour ces enseignants. Une initiative qualifiée de "grande avancée". Mais pour la Conasysed, cela ressemble davantage à une opération de relations publiques qu’à une véritable solution.
« Après deux ans de formation, que va-t-il se passer ? On leur dira d’attendre leur tour, dans une file d’attente déjà bondée de promesses non tenues », s’interroge un syndicaliste. Loin d’être rassurés, les bénévoles réclament des postes budgétaires garantis dès leur sortie. Une demande jugée légitime, surtout lorsque l’on sait que le système éducatif gabonais continue de souffrir d’un cruel manque de personnel.
L'art de faire durer l'attente
Ce n’est pas la première fois que le gouvernement joue la montre. Rappelons que sur les 1 000 postes budgétaires récemment octroyés par le chef de l’État, 900 enseignants ont été recrutés, mais… surprise ! 700 d’entre eux attendent encore d’être affectés. Quant aux 100 recalés pour insuffisance de niveau, ils doivent certainement méditer sur l’ironie de la situation : refuser des candidats jugés "insuffisants", alors que des bénévoles non formés continuent de faire tourner les écoles.
Dans ce contexte, la formation annoncée ressemble davantage à un écran de fumée. Comme l’a si bien résumé un enseignant bénévole : « Ils nous forment pour nous dire ensuite : bravo, vous êtes désormais des bénévoles certifiés. »
Une école à deux vitesses
Pendant ce temps, les élèves, eux, paient le prix fort. Dans les matières scientifiques, où le déficit est le plus marqué, le recrutement peine à suivre. Les classes sont surchargées, les enseignants débordés, et les élèves... oubliés. « À ce rythme, nos enfants finiront par devenir des experts en patience, mais pas en mathématiques », ironise un parent d’élève.
Le gouvernement aime les promesses, surtout celles qui n’engagent à rien. « Conformément aux procédures et dispositions en vigueur » : voilà la formule magique utilisée par la ministre pour calmer les esprits. Mais derrière ces mots policés se cache une réalité bien moins reluisante.
Les enseignants bénévoles, ces héros invisibles du système, ne demandent pas la lune. Ils réclament simplement une reconnaissance à la hauteur de leur engagement. Et si l’État est incapable de leur offrir cela, peut-être devrait-il envisager de rebaptiser le ministère de l’Éducation en "ministère des solutions temporaires".
Vers une colère collective ?
Pour l’instant, la Conasysed se contente de conférences de presse et d’interventions médiatiques. Mais combien de temps avant que cette frustration ne se transforme en grève générale ? Combien de temps avant que les bénévoles décident de poser la craie, lassés d’être traités comme des outils interchangeables ?
Le système éducatif gabonais, déjà fragile, n’a pas besoin d’une nouvelle crise. Mais si rien n’est fait, c’est exactement ce qui risque d’arriver. Et cette fois, ni les promesses, ni les formations, ni les belles paroles ne suffiront à éteindre l’incendie.
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