Au cœur de cette énième catastrophe ferroviaire, une entreprise – toujours la même – le groupe français Eramet/Comilog. Lancé dans une vaste opération d’augmentation de sa production de manganèse, la multinationale française est à l’origine d’une série d’avaries plus ou moins graves subies par le chemin de fer gabonais.
Rien que pour l’année 2022, pas moins d’une demi-douzaine de déraillements et plus de 900 ruptures ou fissures de rails. Et pourtant la SETRAG (société d’exploitation du chemin de fer transgabonais), nous assure-t-on, dispose d’un Règlement général de Sécurité qui impose un tonnage limité par wagon et un équilibrage strict par essieu afin de garantir une répartition correcte du poids par wagon. Mais tout cela c’est de l’affichage marketing, car en réalité, le groupe minéralier Eramet/Comilog n’en fait qu’à sa tête et au gré de ses intérêts.
La preuve, cette déclaration, le 30 novembre dernier, de Leod Paul Batolo, le directeur de la Comilog (succursale d’Eramet) : « Les défis à venir sont importants. 8 millions de tonnes est toujours notre cible pour 2023. Malgré les obstacles et les contraintes, notre mobilisation doit être entière pour atteindre cet objectif en toute sécurité et dans le respect de notre système de management intégré pour la qualité, l’environnement et l’énergie. Et dorénavant en appliquant nos standards Eramet Production System (EPS) ». Prévu pour écouler 1 million de tonnes, le chemin de fer gabonais se retrouve à transporter 7 à 8 fois plus de minerai. A cela, il faut ajouter les 4 millions de tonnes du manganèse produit par OLAM, sans oublier le bois des forestiers. , a indiqué, le 30 novembre 2022.
Une question de survie pour Eramet
La catastrophe du 24 décembre qui a emporté près d’un kilomètre de rails plus un viaduc aurait pu conduire Eramet/Comilog à revoir ses pratiques. Mais le groupe français, à qui incombe pourtant la responsabilité d’entretien de la voie, n’a comme unique préoccupation que l’évacuation de son minerai. C’est ainsi qu’il s’est lancé, sans tarder, dans un gigantesque chantier de réhabilitation. Objectif ? Rétablir le trafic à la fin du mois de janvier. « Une véritable folie ! », disent certains. A juste titre d’ailleurs, car les projections les plus sérieuses évaluent entre 8 et 10 mois minimum la durée des travaux. Selon un expert ferroviaire consulté, il y a, avant toute chose, des questions basiques auxquelles il faut répondre pour bien appréhender la situation. Entre autres : combien de déraillements subis par an ? Quelles en sont les causes? Qu'en disent les assureurs ?
Pour l'expert, si vous dépassez 5 déraillements par an, c'est que vous avez, des terrains en situation d'affaissement, des protocoles de chargements qui ne sont pas respectés et des problèmes d’entretien de la voie. Conclusion, il y a urgence absolue à stopper les transports afin de réparer toutes ces défaillances.
Mais qui, pour imposer des mesures aussi drastiques à l’entreprise française. On le sait tous, Eramet a face à lui un État faible, corrompu. Un État totalement failli. La multinationale française impose donc sa loi. Dans cette affaire, elle joue sa survie, car il ne faut pas oublier que pour Eramet qui a enregistré une perte sèche de près de 450 milliards de francs en 2020, le manganèse gabonais pèse pour plus de 60% dans son chiffre d’affaires.
Eramet/Comilog, un tueur en série ?
Dans sa volonté quasi obsessionnelle à reprendre le trafic ferroviaire, Eramet semble faire fi des exigences de sécurité, aussi bien pour les voyageurs que pour ses propres personnels. On a pu l’observer par le biais de l’indifférence affichée par les dirigeants de cette entreprise à propos du sort des 4 conducteurs gravement blessés lors du déraillement du 24 décembre. Relégués au rang de simples statistiques, ces quatre compatriotes savent qu’ils n’ont rien à attendre de leur hiérarchie. A l’instar de la centaine de Congolais dont Eramet/Comilog a provoqué la mort en 1991.
Pour mémoire, le « 5 septembre 1991 : un convoi de marchandises de la Comilog entre en collision avec un train de voyageurs à Mvoungouti, au Congo. À l’époque, et depuis 1953, cette compagnie française exploite un important gisement de manganèse à Moanda, au Gabon. Le minerai est transporté par voie de chemin de fer vers la côte, à Pointe-Noire, au Congo. La compagnie avait affrété une vieille machine qui ne freinait pas bien. (…) Le train est arrivé trop vite dans la gare. Le cheminot n’a pas pu le maîtriser, le convoi est allé s’encastrer dans un autre train. Le choc est effroyable, plus de 100 personnes périssent, le Congo est sous le choc », rapporte dans Jeune Afrique, Alain-Léopold Moukouyou, ancien cheminot puis agent des voies.
Leod Paul Batolo et ses maîtres d’Eramet attendent-ils qu’il y ait une catastrophe humaine similaire au Gabon pour prendre la pleine mesure de la dangerosité de leur boulimie financière ? Vous avez dit train d’enfer ?
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