La Convention nationale des syndicats du secteur éducation (Conasysed) a accordé deux semaines au gouvernement pour trouver des solutions aux points inscrits dans leur cahier des charges. Dans cette interview accordée à nos confrères du journal La Cigale Enchantée, Alain Mangouadi, le délégué général, s’exprime sur les raisons de cette montée de tension dans le secteur éducation.
Propos recueillis par Wilfrid Kombé Nziengui
Au cours de votre dernière assemblée générale, la base de la Conasysed a accordé deux semaines au gouvernement, pour trouver des solutions aux points de revendication inscrits dans votre cahier des charges. Qu’est-ce qui explique ce regain de tension ?
Alain Mangouadi : Il y a, d'un côté, la base qui est préoccupée par cette situation administrative, c'est-à-dire la régularisation des recrutements directs pour ceux qui sont en pré-salaire, les intégrations, titularisations, avancements automatiques et reclassement après stage, et de l’autre, l'administration qui, à travers le Premier ministre, fait une sorte de sourde d'oreille. C’est cette situation de blocage qui soulève la colère des enseignants, lesquels estiment qu’il faut trouver des solutions immédiates aux préoccupations indiquées plus haut.
Pourtant, vous avez eu des discussions avec la ministre de l’Education nationale.
En effet, la ministre de l'Education nationale a manifesté sa volonté de ne pas rompre le dialogue. C’est pourquoi elle nous a reçus à deux reprises. Elle (Camélia Ntoutoume-Leclercq Ndlr) a, par la suite, souhaité que nous puissions poursuivre les discussions. Ce qui explique que nous avons préféré solliciter de la base cette période, ce temps, pour éviter d'être à l'origine de la rupture du dialogue social, parce qu’aller en grève veut dire qu'il n'y a plus rien à faire. Or, aller en grève devrait être le dernier recours.
Par cette décision, nous avons tenu à exprimer cette volonté de laisser une porte ouverte, pour que nous puissions nous asseoir avec l'administration, en espérant que le Premier ministre comprendra qu’en tant que syndicalistes, nous avons privillégié l'apaisement et qu'il va falloir, nécessairement, que nous nous asseyons pour nous accorder, comme j'ai l'habitude de dire, sur ce qui est essentiel.
C'est quoi l’essentiel ?
L’essentiel, pour nous, c'est le fait que les situations des enseignants soient réglées, c'est-à-dire qu'il y ait un chronogramme de régularisation sociale administrative et qu'il y ait un chronogramme du paiement de rappel, pour qu’apparaisse, chaque année, dans le budget de l'Etat, une enveloppe pour payer les rappels des agents du secteur éducation.
Votre menace de grève signifie que les première discussions avec la ministre de l’Education nationale ont été des échecs ?
Nous avons eu deux rencontres. Pour ce qui est de la première, elle voulait s'enquérir de notre cahier des charges, qui avait été déposé au cabinet du Premier ministre. Bien sûr, elle avait eu une ampliation. On lui a expliqué de quoi il était question dans ce cahier des charges. Par ailleurs, lors de la seconde rencontre, elle nous a fait le point des échanges qui ont eu lieu dans le cadre du comité de suivi du dialogue social du ministère de l'Education nationale.
Au cours de ce dialogue, elle nous a informés qu'il y a quelques situations administratives qui ont été régularisées. En parlant des recrutements, elle nous a fait savoir que cela évolue à un rythme pratiquement de cinquante mises en solde par mois depuis l'année 2023. Et nous, dans le cadre de ce comité de suivi, nous avons demandé que le rythme soit revu à la hausse, afin que tous ceux qui sont en attente de recrutement ou qui ont été formés dans les Grandes écoles puissent, réellement, être affectés et recevoir leurs salaires. C'est la demande qui a été faite. A ce jour, nous sommes toujours en attente d'un retour.
Mais nous avons, à notre niveau, fait une sorte de recensement, de session administrative que nous souhaitons croiser avec l'administration pour voir qui a, réellement, une situation régularisée et qui ne l'a pas. Bien évidemment, pour ceux qui n'ont pas de situation régularisée, il faut qu'un effort qui soit fourni. C'est essentiellement ce qui s'est dit. Nous nous sommes mis d’accord avec la tutelle. Maintenant, la balle est dans le camp du Premier ministre, vu que, selon la loi, c'est lui qui doit nous recevoir, pour que s'ouvrent enfin les négociations, même s'il va céder la main à la ministre de l'Education nationale. Sauf que le préavis de grève lui a été adressé et c'est lui seul qui peut mettre sur la même table les ministres de la Fonction publique et du Budget qui ont les leviers pour régler les situations auxquelles nous sommes confrontés.
Je rappelle que la ministre de l'Education nationale ne crée pas de postes budgétaires, ne paie pas de rappels de solde. Elle ne peut donc que recourir à la collaboration des ministres de la Fonction publique et du Budget. C'est seulement le Premier ministre qui peut instruire ses collaborateurs, pour qu'on discute sur la même table, afin que nos situations soient réglées.
Dans cette crise, certains de vos collègues vous accusent de ménager la ministre de l’Education nationale ?
Je pense qu'il y a diverses interprétations. Un leader syndical est la porte entre la base et l'administration. C’est l’interlocuteur de la base. Je ne comprends donc pas pourquoi on nous reproche d'échanger avec notre ministre. C'est elle qui peut également servir de porte au niveau du gouvernement. Je pense que ce sont de mauvaises interprétations, quoiqu’elles aient été relevées aussi par rapport à l'organisation de la journée des enseignants. Je rappelle que la journée de l'enseignant a été mise en place sur la base d'un décret qui dit clairement que celle-ci se fait en collaboration avec l'administration. A cet effet, il y a un financement qui est prévu et qui provient du budget de l'Etat. Nous nous sommes impliqués dans le cadre de l'organisation de cette journée. Mais cela ne veut pas dire que nous ne posons plus les problèmes. Donc, en tant que leader syndical, nous avons l'obligation d'être en contact permanent avec le premier responsable du ministère de l'Education nationale. Si nous rompons le dialogue, c'est que nous n'avons plus besoin de discuter. Et dans ce cas, nous n'allons plus nous adresser à elle pour résoudre nos problèmes.
Pour ce qui est de la régularisation des situations administratives, quel est le bilan, à ce jour ?
Ce n'est pas à nous de faire le bilan. Il revient à l'administration de le faire. Nous avons appris que pour l'année 2022, il y a eu près de 900 mises en solde, 2000 reclassements après stage. Mais ce que nous déplorons, c'est qu'il y a encore, à ce jour, plusieurs enseignants qui ont été formés et qui ne sont toujours pas reclassés. Il y a même, aujourd'hui, des enseignants qui ont deux situations en attente. Il est anormal que toutes ces situations demeurent ainsi. Nous espérons donc que la ministre de la Fonction publique prendra ses responsabilités, pour que toutes ces situations soient régularisées.
Nous sommes près de 30 000 agents du secteur éducation. Si nous faisons un petit calcul, il y a à peine 10 000 dont on pourrait dire qu'il y a un début de solution. Nous comptons près 20 000 agents en attente de régularisation de leurs situations. Encore que les situations ne sont pas statiques, elles évoluent chaque fois. Donc, ce nombre peut bouger à tout moment. Par exemple, en ce qui concerne les avancements automatiques, ils sont censés changer tous les 2 ou 3 ans. Ainsi, au bout de 7 ans, chacun peut se retrouver avec près de 2 ou 3 situations qui ne sont pas prises en compte.
Votre mot de la fin
Je vous remercie de nous donner, chaque fois, non seulement l'opportunité de nous exprimer, d'éclairer la lanterne de ceux qui nous écoutent, mais surtout de montrer notre volonté d'être attaché au dialogue malgré la situation de crise actuelle. Nous espérons que la ministre de l'Education nationale et son Premier ministre seront attentifs à notre volonté de dialoguer et qu'ils vont, réellement, nous inviter autour de la table, pour que nous puissions apporter des réponses précises aux préoccupations des enseignants. Mais si, malheureusement, le gouvernement nous contraint à aller en grève, moi, en tant que leader, je n'aurai pas le choix que de suivre ce que la base aura décidé.
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