Au moment où s’ouvre la concertation politique voulue par Ali Bongo, les partis politiques de l’opposition, dont l’Union Nationale, fustigent une rencontre déjà dépourvue d’intérêt au regard du flou portant sur les sujets à débattre en plus de la mise en place d’un bureau du CGE illégal.
Ce lundi 13 février 2023, les Partis politiques sont conviés au « lancement des Assises de la concertation politique » censée jeter « les bases de la préparation des scrutins au lendemain apaisé ». Pour la première fois dans notre histoire, le pouvoir choisit d’organiser une concertation politique avant les élections. Nous pouvons nous féliciter de ce sursaut qui, quoique tardif, confirme la justesse de nos analyses et la pertinence de nos propositions. En prenant une telle option, le pouvoir nous indique avoir enfin pris conscience de la gravité de la situation dans laquelle des élections truquées ont plongé notre pays. Afin que la participation de l’Union Nationale ne soit pas interprétée comme un blanc-seing ou comme l’expression d’une quelconque connivence, il importe de rappeler ici quelques fondamentaux.
Qu’est-ce qu’une concertation ? La concertation est « une pratique qui consiste à rechercher un accord, une entente, en vue d’une prise de décision ou d’un projet commun, entre toutes les personnes concernées, qu’elles aient des intérêts convergents, complémentaires ou même divergents« . La concertation n’est ni la négociation, qui consiste à discuter des conditions d’un arrangement, ni la consultation, qui consiste à recueillir les avis des parties prenantes. Si elle n’aboutit pas nécessairement à une décision, la concertation vise à faire émerger l’intérêt général. Elle a donc pour finalité une meilleure appropriation des politiques, lois et décisions par les usagers, c’est-à-dire les citoyens. Elle repose sur deux étapes fondamentales : la définition du mandat et la mise en débat du projet.
Dans le cas qui nous concerne, la première étape n’a toujours pas été dévoilée. Nous sommes tous au fait du contexte et des justifications. Il est désormais clair pour tous que le Gabon traverse une crise multidimensionnelle, que le désespoir se répand et que chacun s’interroge avec gravité sur son avenir et celui de notre pays. Nul ne conteste que les élections présidentielles de 2009 et 2016 ont été organisées de la pire des manières, qu’elles se sont soldées par des contestations légitimes et de sanglantes répressions ayant conduit à la mort de nombreux Gabonais. Mais à ce jour, nous sommes toujours dans l’attente des objectifs spécifiques ou du cadre méthodologique et organisationnel de cette concertation à laquelle nous sommes conviés. Pourrons-nous parvenir à des échanges féconds si nous n’avons pas le même niveau d’information ? Pourrons-nous arriver à faire émerger l’intérêt général si nous ne sommes pas capables de nous délester de la dissimulation, de l’opacité et de la rouerie ? Nous en doutons fortement.
Parce qu’elle est intimement liée à la première, la seconde étape semble elle aussi bien mal engagée. Quels qu’en soient les auteurs (Union européenne, Union africaine, Organisation internationale de la Francophonie, partis politiques ou organisations de la société civile), tous les rapports l’affirment : « des scrutins au lendemain apaisé » passent nécessairement par un toilettage du cadre juridique et institutionnel, notamment le Code électoral et le Centre Gabonais des élections (CGE). A priori destinée à traiter de ces questions, la concertation semble condamnée par avance. Le refus du ministère de l’Intérieur de différer le processus a débouché sur un bureau du CGE totalement irrégulier. Le mutisme de la Cour constitutionnelle, y compris après qu’elle ait été saisie par six formations politiques, dont l’Union Nationale, a légitimé les entorses à la procédure et autres violations de la loi. Dans ce contexte, la concertation se trouve vidée de tout sens et de tout intérêt. De quoi allons-nous discuter si l’organe en charge de l’administration des élections est déjà en place ?
Cette question, chacun se la pose depuis au moins le 16 janvier dernier. Déjà, certains de nos compatriotes parlent de « passage en force« . L’appartenance partisane du président putatif du CGE est dénoncée pour mieux indiquer qu’il ne donne aucun gage d’impartialité. Le silence de la Cour constitutionnelle est relevé pour mieux rappeler les collusions existantes. Ces sentences ne peuvent laisser de marbre tant elles montrent que les Gabonais n’ont plus confiance dans les institutions. Initialement présentée comme un moyen d’apaisement, la concertation passe désormais pour une fumisterie, une inutile dépense d’argent, une opportunité pour les uns de se partager des prébendes.
Devant ce constat alarmant, nous énonçons trois préoccupations centrales. La première, la plus importante, est de savoir si la concertation vise des élections libres, transparentes et inclusives ou si elle n’est qu’un subterfuge pour obtenir un report des élections. En y répondant, les organisateurs apporteront des gages de leur sincérité. Ensuite, qui dit réformes juridiques ou institutionnelles dit modification des lois et règlements. Il importe alors que soit proclamé le caractère exécutoire des résolutions qui en sortiront. Leur traduction en projets de textes devra être du ressort de comités paritaires mis en place de façon consensuelle. Enfin, qui dit réforme à venir dit suspension des processus en cours. Le but n’est pas de remplacer l’équipe unilatéralement désignée par le ministère de l’Intérieur pour conduire le CGE, mais de garantir un fonctionnement à la fois démocratique et harmonieux de cette instance. Parce qu’elle a été régulièrement saisie, la Cour constitutionnelle devrait donc déclarer la nullité du bureau du CGE.
Le but recherché par ces propositions, c’est le renforcement de la confiance des citoyens dans le processus électoral. Des lors que les choses seront au clair, les citoyens n’auront plus de raisons de nourrir la suspicion. Même si c’est la présidente de l’Union Nationale qui les exprime, ces propositions ne sont dirigées ni contre un camp ni contre une personnalité quelconque. Elles visent simplement à réconcilier les Gabonais avec la chose politique. La concertation qui s’ouvre ce lundi ne doit pas être une nouvelle version des Accords de Paris, des Accords d’Arambo ou du Dialogue d’Angondjé. En tous points, elle doit s’en distinguer et s’en démarquer. Il n’y a aucun honneur ni mérite à reconduire les mêmes méthodes, à reproduire des stratagèmes qui ont freiné l’épanouissement démocratique de notre pays et empêché l’éclosion de tant de talents. A l’inverse, il est à la fois honorable et méritoire d’agir dans la transparence et le respect de règles préalablement connues et admises par tous.
Cerner l’objet, la portée et l’organisation générale de la concertation est un impératif cardinal. Notre ambition est de contribuer à faire émerger des solutions consensuelles à même de permettre la tenue d’élections libres, crédibles et transparentes dès août 2023. La concertation n’aura de sens que si elle se fonde sur les principes démocratiques : respect du suffrage universel, respect de la souveraineté du peuple et égalité de tous devant de la loi. Ceux qui pensent que nous en demandons trop sont tout simplement ceux qui considèrent que le Gabon est la propriété de certains et non de tous, le patrimoine de certains et non du peuple. Pour notre part, nous affirmons qu’un système électoral juste a toujours été le moteur du progrès social et humain. Nous sommes habités de la volonté de contribuer à sa conception pour donner à notre pays une chance de se reconstruire.
Paulette Missambo
Présidente de l’Union Nationale
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