À mesure que l’horloge judiciaire gabonaise s’approche du 10 novembre, date de l’ouverture du procès Bongo-Valentin, une évidence se confirme : Sylvia Bongo et son fils Noureddin ne seront pas sur le banc des accusés. Ils seront, à mille kilomètres de là, bien au chaud sous le ciel gris de Londres, occupés à peaufiner leur dossier de naturalisation britannique. Ironie de l’histoire : après avoir longtemps régné sur un pays où la justice était perçue comme une simple chambre d’enregistrement du pouvoir, les deux fugitifs découvrent aujourd’hui les vertus des tribunaux étrangers… mais uniquement pour s’y réfugier.
Leur stratégie est limpide : multiplier les passeports pour échapper aux menottes. Déjà français, demain peut-être britanniques, ils comptent bâtir une forteresse diplomatique autour de leur exil doré. Et pendant ce temps, au Gabon, la justice dresse un acte d’accusation qui ferait trembler n’importe quel dignitaire : corruption systémique, blanchiment de capitaux à grande échelle, détournements massifs, concussion et enrichissement sans cause. Un réquisitoire qui ressemble moins à une enquête qu’à l’inventaire du pillage organisé d’un État.
Mais voilà : le procès s’ouvrira sans eux. Un procès historique… avec des absents de marque. On jugera les fantômes d’une famille qui a confondu trésor public et caisse privée. Le spectacle risque d’être à la fois symbolique et frustrant : symbole d’un tournant judiciaire, frustration d’une justice sans confrontation directe.
Pendant que Libreville attend l’heure de vérité, Londres sert de refuge chic. Les démarches de naturalisation accélérée y avancent dans un silence britannique qui en dit long. Le Royaume-Uni, si prompt à brandir l’étendard de la transparence financière quand il s’agit d’autres pays, se montre soudain muet dès qu’il s’agit de fortunes africaines stationnées dans ses banques et réinvesties dans son marché immobilier. Un silence qui ressemble fort à une complaisance feutrée.
Noureddin, ex-coordinateur général des affaires présidentielles, qui a déjà goûté aux geôles de Gros-Bouquet pendant vingt mois, connaît l’enjeu : une comparution à Libreville pourrait lui coûter des décennies de prison. Sylvia, elle, ne veut pas répondre à la question qui fâche : comment une Première Dame a-t-elle pu, en marge de son rôle protocolaire, accumuler tant de richesses et s’immiscer dans les circuits opaques de la haute finance ?
Le duo mère-fils rejoue donc la vieille partition des puissants déchus : se présenter comme victimes d’acharnement politique, alors même que les enquêteurs ont documenté des flux financiers transnationaux, des acquisitions immobilières douteuses et des montages offshore d’une complexité qui ferait pâlir les manuels de droit pénal économique.
Le drame, c’est que cette fuite médiatico-diplomatique piétine la soif de justice d’un peuple qui, lui, n’a pas d’échappatoire. Les Gabonais continuent de payer le prix de décennies de détournements : infrastructures effondrées, chômage endémique, pauvreté criante. Pendant ce temps, les Bongo-Valentin tentent de transformer leur exil en récit victimaire pour mieux attendrir les chancelleries occidentales.
Au fond, l’affaire Bongo-Valentin n’est pas seulement un dossier judiciaire : c’est le révélateur d’une hypocrisie mondiale. D’un côté, Libreville qui tente d’organiser un procès exemplaire ; de l’autre, des capitales occidentales qui accueillent, hébergent et parfois protègent les fortunes mal acquises. Le contraste est obscène : quand le peuple gabonais réclame justice, Sylvia et Noureddin dégustent leur “five o’clock tea” en attendant un passeport britannique.
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