IMG-LOGO
Accueil Article Tribune libre : "Les journalistes des médias publics : s’armer de professionnalisme !"
Politique

Tribune libre : "Les journalistes des médias publics : s’armer de professionnalisme !"

IMG Anaclet Ndong Ngoua, Maître de Recherche à l'Institut de Recherche en Sciences Humaines (IRSH)/CENAREST.

Par Anaclet Ndong Ngoua (*)

Conformément à l’agenda du Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions (CTRI), l’élection présidentielle aura lieu le 12 avril 2025 prochain, après un certain nombre dans les autres pays d’Afrique noire. Tirant les leçons du passé, les journalistes, évoluant dans les médias publics et privés, se doivent de couvrir cette élection avec professionnalisme. Et cela d’autant que légion en période ordinaire, les dérives atteignent leur paroxysme lors de ce scrutin capital, compte tenu de la nature du régime politique. S’y employer revient à réaffirmer les vertus cardinales sur lesquelles repose le journalisme contemporain et les responsabilités que doivent assumer les hommes de presse lors de la campagne électorale qui s’ouvre.

 

Le journalisme contemporain : les vertus cardinales

Avant d’évoquer les vertus cardinales sur lesquelles repose le journalisme contemporain, quelques observations préalables. En premier lieu, en se référant aux travaux disponibles sur la question, à notre propre observation, les médias publics et privés remplissent une mission d’intérêt général. Ce qui les distingue, c’est le mode de financement, lequel détermine la propriété et la ligne éditoriale. Pratiquer le journalisme consiste à concilier le respect de cette ligne éditoriale et l’exercice de la liberté de la presse ou de la communication, modalité de la liberté d’expression et d’opinion.

 

Comme les autres, cette liberté comporte de justes et nécessaires limites. Deuxièmement, Il n’y a pas un journalisme spécifique en période ordinaire, en période de transition, et un autre, réservé aux consultations électorales, quelles qu’elles soient, quelque différent que soit le contexte politique, économique, social et culturel. Ou bien si l’on préfère, il n’y a pas un journalisme à la Gabonaise, à la Burkhinabè, à la Malienne, à la Guinéenne… Toutefois, les conditions d’exercice de cette profession sont différentes d’un pays à un autre. C’est dire que les initiatives des institutions de régulation et des organismes internationaux sont destinées à renforcer les capacités professionnelles des journalistes.

 

Et cela d’autant qu’au Gabon et dans bon nombre d’autres pays d’Afrique noire, la profession que ces derniers exercent souffre d’un déficit de respectabilité, lequel se traduit par des dérives de toutes sortes. Légion en période ordinaire, ces dérives atteignent leur paroxysme lors des consultations électorales. En conséquence, lors de ces dernières, comme en période ordinaire, en période de transition, les hommes de presse doivent faire preuve de PROFESSIONNALISME. S’y employer revient à rappeler ou à réaffirmer les vertus cardinales sur lesquelles repose le journalisme contemporain. Parmi ces vertus cardinales figurent la neutralité ou la distance, un minimum d’indépendance à l’égard de tous les milieux ou de tous les pouvoirs, la rigueur dans la collecte, le traitement et l’offre de l’information, le pluralisme, une vaste et solide culture, l’innovation ou la créativité dans l’offre de l’information, l’autorégulation.

 

La distance ou la neutralité

Le journaliste, dans l’exercice de sa profession, doit faire abstraction, autant que faire se peut, de ses convictions politiques, intellectuelles, religieuses, de ses états d’âme, de ses préjugés, de son éducation dans nos pays d’Afrique noire, de son appartenance ethnique, clanique, provinciale, départementale, et ne s’en tenir qu’aux faits, rien qu’aux faits. Et cela d’autant que l’information est la conformité de la pensée à la réalité observée.

 

Un minimum d’indépendance

Le journaliste doit se battre en permanence, pour conquérir et maintenir un minimum d’indépendance à l’égard de tous les pouvoirs (politiques, économiques, financiers…) sans lequel il se transforme en un propagandiste ou en un publicitaire. Dans ce cas, il perd toute légitimité. Réels, ces pouvoirs sont souvent tentés d’exercer des pressions sur ledit journaliste pour que ce dernier ne rende pas publiques les informations qui remettraient en cause leurs intérêts ou leur situation. Cette lutte est difficile. S’y dérober est un manquement déontologique et éthique. C’est le lieu de rappeler que l’homme de presse dispose d’un double statut : en tant qu’employé, il doit obéir au règlement intérieur de l’entreprise ou de l’institution médiatique qui l’a recruté ; comme travailleur intellectuel, il doit jouir d’un minimum de liberté.

 

Autrement dit, en tout temps et sous tous les cieux, les pressions existent et empruntent des formes multiples. Ne pas y succomber avec une facilité déconcertante est condamnable sur les plans déontologique et éthique. Mais ces pressions ne doivent pas devenir un alibi commode pour justifier, légitimer les manquements professionnels élémentaires, comme c’est le cas au Gabon et dans de nombreux pays d’Afrique noire.

 

La rigueur dans la collecte, le traitement et l’offre de l’information

Parce que l’homme de presse est au service de la vérité, la justice, la transition, la démocratie, la Bonne Gouvernance, il se doit de faire preuve de rigueur dans la collecte, le traitement et l’offre de l’information.

 

Quel que soit l’article à rédiger, il est tenu d’en collecter les sources institutionnelles (personnes morales) et indépendantes (personnes physiques), sans que les deux s’excluent, de les recouper, d’en vérifier l’authenticité, de les confronter les unes aux autres pour connaître la vérité, et, par voie de conséquence, se prémunir contre les ragots, les contre-vérités, les informations erronées ou fake news… La confrontation ou l’opposition des sources institutionnelles et indépendantes constitue une exigence professionnelle.

 

La rigueur renvoie également à l’appropriation des genres journalistiques ou rédactionnels et la sélection de ces derniers, en fonction de la nature de l’actualité et des attentes du public. Et cela d’autant que les médias se livrent à une compétition impitoyable sur les marchés national et international. La consolidation de la démocratie, le réveil de la société civile, l’affirmation de l’opinion publique au Gabon et dans les autres pays d’Afrique noire, la mondialisation de la communication et la révolution numérique ont renforcé ces marchés.

 

En ce qui concerne l’offre de cette information, il faut innover (look ou graphisme pour la presse écrite), (décor et générique ou organismes audiovisuels) sans cesse dans cette opération, d’autant que cette dernière est à la fois un produit commercial et culturel. Il s’agit, à travers cette innovation, d’« accrocher » le lecteur, l’auditeur ou le téléspectateur. Le contenu est aussi important que la forme.

 

Le pluralisme

Il n’y a pas de démocratie sans pluralisme. Celui-ci repose sur l’idée qu’aucun enfant de la Cité politique qu’est l’Etat, aucun groupe social, si éclairé soit-il, ne détient le monopole de la vérité. Celle-ci ne peut émaner que de l’opposition ou de la confrontation entre toutes les forces qui sont à l’œuvre au sein de ladite Cité politique. Ou bien si l’on préfère, tout monopole, public ou privé, dans le domaine de la communication, constitue une négation de la démocratie. Mieux, les médias publics ou privés sont le lieu ou l’enjeu où toutes ces forces débattent de la gestion des affaires publiques, de la res publica. Et en débattre renvoie à un tournoi indéfini entre lesdites forces, pour paraphraser Daniel Bougnoux. II incombe ainsi à l’opinion de trancher. C’est en cela que réside, selon Francis Balle, le pouvoir des médias.

 

Une vaste et solide culture

Parce que l’information est un marché et que le traitement de cette dernière ne s’accommode plus de l’improvisation, l’homme de presse a besoin de disposer d’une vaste et solide culture, laquelle consiste en des techniques journalistiques ou rédactionnelles, des savoirs sur les sciences sociales et humaines et les sciences expérimentales ou exactes. En d’autres termes, l’exercice du journalisme fait appel à une vaste et solide culture. Quid de l’autorégulation ?

 

L’autorégulation

L’autorégulation renvoie à l’autodiscipline ou à l’autocontrôle. Elle consiste, pour la rédaction, considérée comme l’ensemble des journalistes et agents assimilés à ces derniers (cameramen, monteurs, correcteurs, reporters-photographes…), à vérifier si l’information offerte sur le marché est respectueuse des libertés politiques, fondamentales ou encore publiques, des libertés individuelles ou personnelles, du bon sens, de la décence, de la déontologie et de l’éthique. Se complaire dans l’autosatisfaction constitue un manquement grave. Ici, comme dans d’autres pays d’Afrique noire, les institutions de régulation ne peuvent et/ ou ne doivent tout réguler. La mise en place de ces dernières ne dispense et/ou ne doit dispenser les journalistes de s’acquitter de l’autorégulation. Celle-ci est donc une exigence professionnelle, d’autant que le public est le seul juge ou destinataire final.

 

Après avoir réaffirmé ou rappelé ces valeurs classiques sur lesquelles repose le journalisme, en période ordinaire, en période de transition, lors d’une élection présidentielle, comment peuvent-elles être traduites, concrètement, au sein des rédactions des médias publics et privés ?

 

La traduction concrète au sein des rédactions des médias publics et privés

Parce que le Gabon a un régime de type présidentiel, l’élection, qui y est liée, est destinée à choisir un des candidats aux plus hautes charges de l’Etat, à la magistrature suprême, durant sept ans. Parce que le Gabon est une démocratie renaissante, les professionnels des médias publics et privés ont la responsabilité d’éclairer le débat politique. S’y atteler revient à aider les Gabonais à se déterminer, à choisir, en fonction de leurs aspirations, de leurs attentes, de leurs besoins dans les domaines divers (santé et sécurité sociale, éducation, emploi, alimentation, logement…) et non en fonction de leur appartenance ethnique, provinciale, départementale... Dans un tel régime, le scrutin présidentiel renvoie donc à un choix de société et représente un moment déterminant de la vie politique. A cet effet, les journalistes se doivent de :

 

1-Montrer l’enjeu de l’élection présidentielle, en faisant connaître les différents candidats, leur offre politique, en confrontant cette offre à la situation politique, économique, financière, sociale et culturelle du pays, à l’environnement international. Loin d’être une guerre entre les différents candidats, les ethnies et les provinces, les milieux sociaux auxquels ils appartiennent, cette élection est, bien au contraire, une confrontation de projets de société, de programmes de gouvernement. Il s’agit d’aider les citoyens à se déterminer, à voter en toute âme et conscience, à choisir, comme nous l’avons déjà souligné.

2. Montrer la différence entre l’élection présidentielle, les élections législatives et locales, ainsi que les modes de scrutin qui y sont liés.

3. Montrer les institutions publiques qui organisent l’élection (Ministère de l’Intérieur…).

4. Faire connaître le Code électoral, la nouvelle Constitution.

5. Afficher, rappeler et faire respecter l’article 44 de la loi n° 019/222016 portant Code de la Communication en République Gabonaise, les valeurs déontologiques et éthiques qui interdisent les atteintes à la dignité ou aux droits fondamentaux (calomnie, injure, diffamation, accusation sans fondement…), des différents candidats à l’unité nationale, à la cohésion sociale, la haine tribale, sous peine de poursuites judiciaires.

6. Réserver un traitement équitable de tous les candidats dans l’accès aux médias publics et privés (temps d’antenne pour les radios et les télévisions, espace d’insertion pour la presse imprimée et la presse en ligne).

7. Renforcer la connexion à Internet, avec ses blogs, ses réseaux sociaux, ses forums, ses sites, dans les différentes rédactions, afin de s’en servir comme une source d’informations nouvelle et inépuisable et soumettre ces sources à une critique rigoureuse, conformément aux valeurs déontologiques et éthiques, pour démêler le bon grain de l’ivraie (fake news).

8. Répartir les tâches entre les journalistes pour mieux faire connaître aux Gabonais l’offre politique évoquée plus haut, en répartissant les rédactions en rubriques et en services. Certains peuvent ainsi s’occuper des questions politiques et juridiques, d’autres de la situation économique et financière, et d’autres de la recherche scientifique et technologique… Le journaliste, qui appartient à une rédaction, est et/ou doit être responsable d’un service. Cela renvoie à la spécialisation de l’homme de presse.

9. Couvrir la campagne électorale en français et dans les différents idiomes locaux pour de nombreux Gabonais qui ne possèdent pas les rudiments de la langue de Molière.

 

En référant aux expériences menées dans d’autres pays d’Afrique noire, à notre propre observation, les professionnels des médias publics et privés ne peuvent contribuer à la tenue d’un scrutin présidentiel qu’en se montrant à la hauteur de leur mission : faire preuve de professionnalisme, malgré un environnement politique et économique défavorable. Aucune autre alternative ne s’offre à ces derniers, de surcroît, à l’heure de la révolution numérique, de la mondialisation de la communication, du réveil de la société civile, de l’affirmation de l’opinion publique. Toutefois, pour consolider ce professionnalisme, les pouvoirs publics devraient modifier les dispositions législatives et réglementaires en vigueur relatives à l’accès au journalisme, repenser le financement des médias publics et privés, d’autant qu’ils sont différents de conception et de nature, comme l’écrit Edgar Morin. Quant aux professionnels eux-mêmes, il est temps qu’ils s’organisent en des syndicats représentatifs et sérieux pour l’adoption des conventions collectives. Dans le domaine de la communication, elles règlent des questions telles que les salaires, la formation professionnelle, la liberté syndicale, les collaborations multiples, le statut des stagiaires, la commission paritaire de l’emploi, le recrutement, la durée du travail, les congés… Enfin, il incombe aux citoyens de se mobiliser pour l’affirmation de la liberté de la presse ou de la communication, d’autant que cette dernière leur appartient. Les journalistes et autres professionnels des médias exercent leurs activités au nom desdits citoyens. Les uns et les autres y sont-ils disposés ?

 

(*) Maître de Recherche à l'Institut de Recherche en Sciences Humaines (IRSH)/CENAREST

 

 

Partagez:

0 Commentaires


Postez un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs marqués * sont obligatoires