Sylvia Bongo présidant une réunion de la Task Force Gabon Egalité avec l'ex Premier Ministre, Monsieur Alain-Claude Bilie By Nze
À Libreville, on aime les grandes causes, surtout quand elles n’éclaboussent que les autres. Depuis l’annonce du procès de Sylvia Bongo Ondimba et de son fils Noureddin Bongo Valentin, prévu le 10 novembre prochain, les parquets bruissent, les palais chuchotent, et certains anciens dignitaires du Parti démocratique gabonais (PDG), aujourd’hui repeints couleur UDB, se découvrent une passion subite pour la morale et la transparence. Mais au fond, tout le monde le sait : « le singe ne rit jamais de la chute d’un autre singe, il sait que la branche est la même. »
Quand la régence devient régime
Les chefs d’accusation sont un florilège de Code pénal : faux en écriture publique (article 160), détournement de fonds publics (article 97), blanchiment d’argent (article 130 et suivants), falsification de documents administratifs (article 158). Un cocktail juridique aussi explosif qu’un bidon d’essence dans une case à palabres. Mais à bien y regarder, le procès de l’ex-Première dame et de son fils ressemble moins à une affaire familiale qu’à une autopsie de la gouvernance gabonaise de 2018 à 2023.
À l’époque, tout le monde savait. Tout le monde voyait. Et tout le monde se taisait. L’accident vasculaire du chef de l’État avait transformé le palais du bord de mer en centrale de commandes officieuses, où l’on signait décrets et nominations comme on distribue des cartes de visite. Les lois passaient comme des lettres à la poste, les budgets s’évaporaient comme rosée au soleil, et les carrières se faisaient au gré des amitiés familiales. Mais que faisait l’État ? Il regardait. Et comme le dit un proverbe punu, « celui qui voit le léopard et dit que c’est un chaton prépare déjà sa propre morsure. »
Les complices silencieux du système
Le Code pénal gabonais est formel : « quiconque, par aide ou assistance, facilite la préparation ou la consommation d’une infraction, est complice et puni comme l’auteur principal. » Voilà qui devrait donner quelques insomnies à nombre d’anciens ministres, directeurs de cabinet, comptables publics et conseillers présidentiels qui, de 2018 à 2023, ont apposé leurs signatures sur des décrets, des virements, ou des marchés douteux. Mais au lieu d’un banc des accusés élargi, la justice semble préférer un procès à effectif réduit : madame, monsieur le fils, et le silence des autres.
Pourtant, si la machine a fonctionné, c’est bien parce qu’elle était bien huilée. Les ordonnateurs, les contrôleurs financiers, les responsables du Budget et les banquiers n’étaient pas des figurants. Ils étaient les engrenages indispensables de la régence. Mais aujourd’hui, certains se sont recyclés dans la Transition. D’autres sont devenus bâtisseurs à l’UDB, nouveau sanctuaire des conversions politiques instantanées. Et tous jouent les amnésiques. Comme le rappelle un vieux magistrat de la Cour, « quand le feu prend dans la savane, le caméléon aussi court, mais il change de couleur avant. »
Refuser de comparaître, ou refuser de trahir ?
D’aucuns s’indignent du refus de Sylvia et Noureddin de se présenter devant la barre. Mais il faut peut-être y voir moins un affront à la justice qu’un refus de livrer les vérités qui fâchent. Car en déposant, les deux risqueraient de citer des noms et pas n’importe lesquels : des anciens ministres du Budget, des secrétaires généraux du gouvernement, des directeurs de la Caisse de dépôts et consignations et même des parlementaires de la Transition d’aujourd’hui.
Autrement dit : des témoins devenus notables, des complices promus réformateurs. Et si ces noms sortaient, le procès basculerait de la chronique judiciaire à la déflagration politique. Comme le dit la sagesse fang : « celui qui veut attraper le serpent dans la rivière doit s’attendre à mouiller son pantalon. » Et dans ce dossier, rares sont ceux qui veulent se mouiller.
Le procès des absents
Pour être équitable, ce procès devrait s’étendre à tous les maillons de la chaîne décisionnelle. Comment parler de faux sans interroger le Secrétariat général du gouvernement ? Comment évoquer les détournements sans entendre le Trésor public ? Comment accuser de blanchiment sans convoquer les banques de la place ? Comment discuter falsification sans questionner les services du Premier ministre ou du Conseil d’État ?
À ce rythme, la vérité risque de sortir sur une jambe, boitant sous le poids des absences volontaires. La justice gabonaise a pourtant l’occasion rêvée de montrer qu’elle n’est plus celle d’hier celle des instructions au téléphone, des juges tremblants et des dossiers classés par amitié. Mais pour cela, elle devra avoir le courage de regarder dans le rétroviseur, au risque de croiser les visages familiers du pouvoir d’hier... toujours assis dans les salons d’aujourd’hui.
La justice transitionnelle : le train manqué de la réconciliation
Certains juristes l’avaient suggéré : pourquoi ne pas opter pour une justice transitionnelle, capable de juger, réparer, et réconcilier sans vengeance ? Mais non. On a préféré la justice classique, avec ses lenteurs, ses silences et ses angles morts. Résultat : un procès qui risque de punir les symboles, mais pas le système. Comme le murmure un avocat du barreau de Libreville : « On juge le lampadaire pour éviter d’éclairer la rue. » Pourtant, la vérité est têtue. Et tôt ou tard, elle finit toujours par frapper à la porte surtout quand les archives, les décrets et les relevés bancaires se réveillent.
Le test suprême de la justice gabonaise
Ce procès, qu’on le veuille ou non, sera l’épreuve du feu. S’il se limite à un duel entre Sylvia, Noureddin et quelques subalternes, il confirmera que la justice reste encore au service du politique. Mais s’il ose convoquer les barons recyclés, les secrétaires généraux, les banquiers complaisants et les anciens ministres devenus conseillers, alors, oui, la République pourra dire qu’elle a commencé à se purifier.
Car la corruption, comme le mal de dos, ne se soigne pas avec des pommades de façade. Et comme le dit un proverbe bantou : « la rivière ne devient claire qu’après la crue. » En attendant, la population observe, ironique. Dans les maquis du PK5, les citoyens commentent le procès à venir comme un feuilleton de Netflix : « Toi, tu crois qu’ils vont parler ? » Parler ? Non. Mais trembler, oui. »
Épilogue : la mémoire des complices
Les accusés ne sont peut-être pas les seuls coupables. Et si, dans le fond, Sylvia et Noureddin ne faisaient que payer le prix du silence des autres ? Car dans cette affaire, il y a ceux qui ont donné les ordres, ceux qui ont exécuté, et ceux qui ont profité. Or, comme le dit le Code pénal, « la responsabilité pénale est individuelle », mais la responsabilité morale, elle, ne l’est jamais.
Alors, à défaut de tous comparaître, que chacun s’interroge : où étais-je quand le pays se disloquait ? Et que faisais-je, quand l’État devenait une affaire de famille ? Comme le dit un vieil adage gabonais : « Le tambour qui résonne pour un seul, finira toujours par appeler tous les danseurs. » Et à Libreville, le tambour de la justice s’apprête à battre. Reste à savoir qui osera danser.
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