Depuis plusieurs jours, la grève observée dans ce centre hospitalier universitaire est présentée comme la conséquence d’un État défaillant
À Jeanne Ebori, on ne soigne plus seulement les patients. On ausculte désormais les comptes, on leur fait dire ce qu’ils n’ont jamais contenu, et certains agents semblent avoir découvert une nouvelle pathologie administrative : la vacation fantôme à géométrie variable.
Depuis plusieurs jours, la grève observée dans ce centre hospitalier universitaire est présentée comme la conséquence d’un État défaillant, mauvais payeur chronique, coupable d’avoir laissé ses soignants sur le carreau. Une fable bien huilée, abondamment relayée, mais qui s’effondre à l’examen des faits. Car, surprise : l’argent est là. Les vacations ont été payées. Les fonds sont disponibles, tracés, identifiés, comptabilisés. Bref, ils existent ce qui, dans le Gabon administratif, relève déjà de l’exploit. Alors pourquoi la colère ? Pourquoi le blocage ? Pourquoi la grève ? La réponse est moins glorieuse qu’annoncée.
Quand les barèmes deviennent optionnels
Selon plusieurs sources internes, ce qui crispe réellement, ce n’est pas l’absence de paiement, mais le refus de payer davantage que ce que prévoient les textes. Certains agents auraient, dans un élan créatif digne d’un atelier d’écriture budgétaire, procédé à une revalorisation unilatérale des montants réclamés. Sans décret, sans arrêté, sans base légale. Juste au feeling. À la louche.
Une pratique audacieuse, certes, mais qui transforme la revendication syndicale en négociation de marché nocturne, où chacun fixe son prix selon l’humeur, la fatigue ou la rumeur du jour. Problème : les finances publiques ne fonctionnent pas à l’émotion, encore moins à l’improvisation.
La transparence, cet ennemi juré
Face à ces revendications gonflées sous stéroïdes, la direction de l’hôpital a eu l’outrecuidance de demander des justifications : textes de référence, pièces comptables, bases légales. Une hérésie, apparemment. Car dans certains esprits, demander des comptes serait devenu une provocation, et la transparence, une forme de répression managériale.
Résultat : beaucoup de bruit, des slogans, des arrêts de travail… mais très peu de documents. Le syndicalisme version Jeanne Ebori semble ainsi avoir inventé un nouveau concept : la revendication sans preuve, où la légitimité se mesure au volume des cris, pas à la solidité des arguments. Un directeur qui refuse de signer les yeux fermés.
Dans ce théâtre de l’absurde, le Directeur général, le Pr Meye François, joue le rôle ingrat du rabat-joie légaliste. Il reçoit, il écoute, il dialogue mais il refuse de distribuer l’argent public comme des bonbons à la sortie d’une garderie. Son message est simple, presque ennuyeux : oui, les ressources existent ; non, elles ne seront pas distribuées en violation des règles. Un discours responsable, mais manifestement inaudible pour ceux qui confondent pression syndicale et chantage budgétaire, et qui semblent considérer que bloquer un hôpital est un moyen acceptable d’obtenir ce que les textes refusent.
Une grève qui interroge le sens même du combat syndical
En tant qu’observateur averti du monde syndical et de la santé publique, une question s’impose : à qui profite réellement cette grève ? Certainement pas aux patients, premiers otages de ce bras de fer. Pas davantage à l’image des soignants, dont la cause est affaiblie par des revendications mal étayées. Et encore moins au combat syndical lui-même, vidé de sa crédibilité lorsqu’il se coupe du droit, de l’éthique et de l’intérêt général.
Car à force de crier au non-paiement quand l’argent est là, on banalise les vraies crises. À force de refuser la transparence, on donne raison à ceux qui soupçonnent des pratiques douteuses. Et à force de transformer l’hôpital en champ de bataille corporatiste, on oublie que la santé n’est pas une monnaie d’échange.
Grève ou écran de fumée ?
Non, Jeanne Ebori ne traverse pas une crise de paiement. Elle traverse une crise de gouvernance syndicale, où certains préfèrent le rapport de force au respect des règles, et la rumeur à la vérité comptable. Une crise où l’État et la direction hospitalière servent de boucs émissaires commodes, pendant que les véritables questions l’égalité, traçabilité, responsabilité sont soigneusement évitées. Dans un pays où le système de santé souffre déjà de mille maux, jouer avec les règles financières, c’est jouer avec le feu. Et à Jeanne Ebori, ce ne sont pas les comptes qui brûlent ce sont les principes.
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