Le sommet extraordinaire de la CEMAC, prévu pour le 18 décembre 2024 à Yaoundé, s'annonce comme un théâtre de géopolitique et d’économie où les acteurs principaux sont confrontés à un dilemme de taille : se soumettre aux directives imposées par le FMI et la France, ou faire front et choisir la voie de l'indépendance économique. Alors que le Congo, le Tchad et la République Centrafricaine se trouvent sous la menace d’une dévaluation du franc CFA, les enjeux sont plus qu’économiques ; ils sont désormais une question de souveraineté et de positionnement sur l'échiquier mondial. L’Afrique centrale, traditionnellement perçue comme une région de stabilité (à défaut d'être prospère), pourrait bien se retrouver à la croisée des chemins entre une dévaluation douloureuse et une émancipation économique risquée.
Le Fantôme de la Dévaluation : Spectre ou Réalité ?
Le coup de semonce est donné : si le Congo, le Tchad et la République Centrafricaine ne se conforment pas aux « recommandations » issues du sommet de la CEMAC de 2017, la France, en collaboration avec le FMI, n'hésitera pas à brandir la menace de la dévaluation du franc CFA. Mais à bien y regarder, n’est-ce pas un peu exagéré, comme une vieille menace qu'on agite pour masquer un manque d'alternatives viables ? La réalité, c’est qu’une dévaluation dans ces pays à l’économie déjà chancelante aurait des conséquences catastrophiques : inflation galopante, perte de pouvoir d'achat et, in fine, des populations encore plus vulnérables. Mais ce scénario apocalyptique semble-t-il encore faire frissonner, ou bien est-il simplement l’ultime outil de pression d’une France qui perd son emprise sur la région ?
Les économistes et les observateurs avertis ne sont pas dupes : ce chantage monétaire repose sur une vision archaïque des relations entre l'Afrique et son ancienne puissance coloniale. Et au moment où le Mali, le Burkina Faso et le Niger, sous régimes militaires, se désengagent d’une zone CFA déjà décriée, la France pourrait se retrouver seule, face à un continent qui a, peu à peu, cessé de croire à ses promesses de « stabilité ». En attendant, la CEMAC, toujours dépendante des fluctuations du pétrole et d'une aide extérieure frileuse, reste un terrain idéal pour ces confrontations où les enjeux sont bien plus politiques qu’économiques.
Le Gabon : Le Doux Paradoxe de la Gouvernance Moderne
Au milieu de ce tumulte, le Gabon se distingue. Sur le papier, le pays brille : 32e rang du classement 2024 de la Fondation Mo Ibrahim sur la « Bonne gouvernance » en Afrique, et au 10e rang en termes de développement humain, selon le PNUD. Un exploit, quand on sait que la CEMAC, dans son ensemble, peine à convaincre. Mais ne soyons pas dupes : ces classements sont-ils réellement le reflet d'une prospérité équitable, ou un paravent camouflant les inégalités qui rongent encore le pays ? Le Gabon, certes, a progressé sous le leadership d’Oligui Nguema, mais reste-t-il réellement à l'abri des pressions externes, notamment de la France ? La tentation d’adopter une posture plus indépendante pourrait être forte, mais la réalité économique du pays, bien qu’en progrès, ne lui permet pas encore de se détacher totalement du carcan de la zone CFA.
Dans cette danse politique et économique, le Gabon pourrait bien jouer un rôle clé. Car au-delà des chiffres de bonne gouvernance, le pays est celui qui pourrait donner le ton à la CEMAC. Alors que la France et le FMI cherchent à imposer des réformes économiques qui servent leurs intérêts, le Gabon pourrait se retrouver à l’avant-garde de la résistance, avec d’un côté l’aspiration à une plus grande autonomie, et de l’autre, la réalité d’un système économique qui ne peut se permettre de rompre avec des partenaires historiques sans risquer l’effondrement.
La France et le FMI : Les Dérives d’une Influence Mourante
La France, manifestement vexée par la sortie en fanfare des trois pays de l’Afrique de l’Ouest du giron du franc CFA, semble prête à tout pour ne pas perdre son emprise sur l’Afrique centrale. Mais à quel prix ? La situation actuelle reflète un malaise profond : la stratégie de maintenir le statu quo monétaire via la CEMAC ne semble plus aussi efficace qu’avant. Le FMI, fidèle allié dans cette entreprise, pousse pour des réformes économiques draconiennes, en menaçant les pays récalcitrants d’un « ajustement structurel ». Mais à qui profite réellement cette pression constante ? Sûrement pas aux populations locales, pour qui les « réformes » sont souvent synonymes de sacrifice et de souffrance sociale.
L’érosion de l’influence de la France, mise en lumière par les événements en Afrique de l’Ouest, semble désormais se diriger vers l’Afrique centrale. Au-delà des postures politiques et des manipulations monétaires, c’est une remise en question de l’ensemble du modèle économique imposé aux anciennes colonies qui se profile. Mais la France semble déterminée à maintenir sa domination, quitte à perdre la légitimité qu’elle cherche tant à préserver. L’avenir du franc CFA, et par extension celui des relations économiques entre la France et ses anciennes colonies, dépendra sans doute de la capacité des pays de la CEMAC à résister à cette pression.
Le Sommet de Yaoundé : Une Arène Géopolitique
Le sommet de la CEMAC, dans ce contexte, s’apparente à un grand théâtre de la diplomatie où les enjeux sont multiples : d’un côté, la France, soutenue par le FMI, cherchant à maintenir son influence économique ; de l’autre, des États de la CEMAC, plus ou moins prêts à résister à cette pression, conscients de la nécessité de réformes mais déterminés à ne pas sacrifier leur souveraineté monétaire sur l'autel de la « stabilité » imposée.
Il est fort probable que ce sommet révèle les fractures internes de la CEMAC : d’un côté, les pays qui choisiront de se soumettre, et de l’autre, ceux, comme le Gabon, qui pourraient voir dans cette crise une occasion de sortir du carcan imposé par l’ancienne puissance coloniale. Ce sommet pourrait être une scène de rupture ou de compromis, et l'Afrique centrale, à travers ses choix économiques, pourrait bien redéfinir les contours de son avenir. La question qui reste en suspens est de savoir si la France saura ajuster sa stratégie avant de devenir un spectateur déclinant d’une histoire qui se réécrit sans elle.
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