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Société

(Tribune Libre) : « Nous prescrivons encore les gants d'examens aux malades, le paracétamol, les compresses, la Bétadine… »

IMG Le Dr Okome Mezui Denise.

 (*) Par  Dr Okome Mezui Denise

 

Réflexion sur la situation sanitaire à Libreville 

 

Parfois on choisit le silence, pas parce que nous n'avons rien à dire ou bien que tout est parfait. On peut choisir d'être observateur et de ne pas faire de sortie à la moindre faute ou à la moindre limite. On sort de loin,  on le reconnaît et en plus nul n'est parfait, on ne peut construire le pays en un an.

 

Le premier anniversaire de la libération a été célébré hier en grande pompe ( La tribune a été écrite le 29 NDLR). Le pays pour ne pas dire Libreville était en effervescence, les femmes vêtues de leurs beaux pagnes et tee-shirts à l'effigie du libérateur.  Les hommes habillés et leurs épouses ont été honorés. Certains citoyens ont été décorés à titre de reconnaissance dans leur domaine d'activité.  Certains membres du gouvernement et des proches du système actuel ont encore une fois ajouté une médaille à leur collection.

 

Apparemment le bilan socio-politique et économique a été fait et il s'avère positif dans l'ensemble : un record de réalisations en une année !  Par contre,  la question de la restauration des institutions reste encore un slogan dans nos oreilles. Le grand dialogue a été fait depuis des mois, les conclusions dudit dialogue ne sont toujours pas connues du grand public. Par contre certains leaders sensibilisent les populations à voter OUI au référendum... ah bon?

 

Pour revenir à la célébration, Dieu seul sait combien de fois comme de nombreux citoyens,  je voulais faire partie de la fête, mais hélas,  il a fallu que ce soit moi qui couvre la garde dans mon service. Les épreuves que j'ai passées durant cette garde m'ont amené à me poser un certain nombre de questions au moment où ils fêtaient le 1er anniversaire de la libération.

 

Ils ont annoncé la construction de plusieurs autres hôpitaux publics et militaires dans toute l'étendue du territoire.  C’est louable. Cependant un an après le coup de la libération, quelles sont les avancées dans le domaine médical? Les grandes structures hospitalières publiques ne disposent que d’une seule ambulance (de plus sans dispositif d'oxygène) sinon deux pour celles qui ont de la chance.  Nous prescrivons encore les gants d'examens aux malades, le paracétamol, les compresses, la Bétadine, l'alcool, les fils de sutures etc...

 

 

Les malades doivent se rendre dans les structures privées pour réaliser le scanner ou l'IRM et parfois même pour réaliser  certains examens  sanguins de base...Nous n’avons pas de quoi prendre en charge les urgences les plus élémentaires comme des  convulsions, les plaies traumatiques, les fractures etc...  Par exemple, lorsqu'un enfant arrive dans un état de crise convulsive,  malgré l’urgence du traitement nous sommes contraints de prescrire une ordonnance aux parents, ce qui conduit à un retard de traitement

 

Les coupures d'électricité dans certains  hôpitaux sont toujours d'actualité,  car la puissance des groupes électrogènes de relais serait très faible par rapport aux besoins des services. Donc quand dame SEEG fait ses caprices, nous sommes obligés de reporter certaines interventions chirurgicales ou de transférer les patients dans d'autres structures sanitaires qui aussi rencontrent les mêmes difficultés.

 

De passage dans le plus grand service des urgences du Gabon, il y a quelques semaines,  j'ai été outrée de savoir qu'il manquait toujours des toilettes pour les malades. On suggère à chaque patient hospitalisé d'acheter un pot dans lequel ils font leurs besoins. Dans l'urgence les hommes utilisent les bouteilles vides d’eau minérale pour uriner. Pour le reste des besoins, je n'ai pas voulu en savoir plus... imaginer les conditions de travail du personnel de ce service..."l'odeur nauséabonde fait partie de leur quotidien " on va vous dire c'est le sacerdoce… courage!

 

A ce jour encore, il manque des kits d'urgence pour des patients qui arrivent dans le cadre d'une urgence avec un pronostic vital menacé. C'est ce qui m'est arrivé hier à ma garde pendant que d'autres  étaient à la fête du coup de  la libération. Une malade nécessitait d'être opérée en urgence dans les heures qui suivent, car le pronostic vital était engagé.  Malheureusement la famille n'avait pas de quoi acheter le matériel nécessaire dans l'immédiat.  J'ai vu le désespoir, l'impuissance, la lamentation sur le visage de cette famille.  Il est en effet insoutenable de voir sa mère entre la vie et la mort, les ordonnances dans les mains et ne pas avoir de quoi les payer.

 

Heureusement la vie de cette patiente a été sauvée grâce à l’utilisation d’un kit de matériel de bloc-opératoire laissé dans le service par un autre patient.

A la fin, tout le monde était content. Le fils a éclaté en sanglots lorsqu'il a appris que sa mère était sortie d'affaire.  J'avoue que je voulais le prendre dans mes bras,  mais je me suis retenue, car la relation soignant et soigné obéit à des règles qu'il faut respecter. 

 

A la fin de la journée, en rentrant chez moi, il faisait beau,  les rues étaient un peu désertes. Je décide de faire une petite marche de 10 à 15 min avant de prendre mon taxi. Je tombe sur un parking d'une administration publique et j'aperçois près d'une soixantaine de véhicules 4x4 et double cabines flambants neufs, plaques bleues immatriculées. Certainement en attente d'être distribués aux personnels de ladite administration...

 

Je croise mon collègue non loin de là, il me dit en souriant " ma chère tu vois, pendant que tu cours toute la journée dans le bloc opératoire et les services d'hospitalisation pour sauver une vie sans le MINIMUM DU MATÉRIEL, des voitures sont distribuées comme des bouts de pain à d'autres "

 

J'avoue que j'ai été choquée sur le coup.  De ce que je sais, seul le DG du CHU dispose d'une voiture de service. Que tu sois professeur agrégé, titulaire, chef de service, directeur des affaires médicales ou chef de département... à ma connaissance aucun ne dispose d’une voiture de service.

 

Quelles sont finalement les urgences dans ce pays? 

 

Je demeure convaincue qu’il faut une redéfinition des urgences dans notre pays en mettant notamment le secteur de la santé parmi les priorités. Est-il possible de rendre public le coût annuel des évacuations sanitaires à l'étranger pour des pathologies qui peuvent être prises en charge sur place par le personnel local compétent?  Mais pour défaut de matériel, les malades sont évacués à l'étranger (nous avons une belle formulation que nous utilisons  tous habituellement) " pour défaut de plateau technique, nous ne pouvons prendre en charge ce patient, nous vous l’adressons pour une meilleure prise en charge ". Jusqu'à quand? Pourtant le coût d'une seule évacuation sanitaire par la CNAMGS peut permettre de prendre en charge localement plusieurs patients. 

 

Encore une fois, quelles sont les urgences de ce pays ?

 

J'ai regardé le défilé militaire à la TV et j'ai été agréablement surprise de la puissante logistique dont dispose notre armée.  Woaou !  Nous avons cet important équipement au Gabon?  Je pense que notre armée est la mieux équipée en Afrique noire pour une population de moins de 3 millions.  Je suis certaine que si nous rentrons en guerre avec un pays voisin, en moins de 24h, l'ennemi sera à terre. Le président de la transition en un an d'exercice a offert à notre chère armée 379 nouveaux engins: 61 moto-quad jet ski, 233 véhicules légers,  62 engins  blindés,  104 camions de transport,  14 bus de transport,  25 bus pour l'hôpital militaire de campagne, 21 ambulances, 11 engins TP, 2 tracteurs agricoles, 5 vedettes zodiac, 20 armements mitrailleuses,  10 groupes tracteurs, 23 mortiers, des aéronefs etc...(source : GabonReview 18 août 2024) je ne parlerai pas des cités qui sont en construction et des logements déjà distribués à nos chers combattants. 

 

Tous les camps de police ont bénéficié d’une cure de jouvence. C'était nécessaire vraiment, car on reconnaît l'état d'insalubrité dans lequel vivaient malheureusement certains. Je me suis  posée quand même la question de savoir, après le défilé qu'est ce qu'ils font de cet important équipement à part l'entretenir? En sachant que le Gabon n'a jamais été en guerre. Avant de me sauver d'une guerre lointaine éventuelle,  j'ai besoin de manger sainement,  de me loger décemment et de me soigner car la maladie ne prend pas de rendez-vous. Elle arrive souvent au moment où l'on est fauché et ma vie peut s'éteindre à jamais pour défaut de soins.

 

Au regard de ce petit constat, je pense que les autorités ne sont pas toujours informées des réalités.  Certains responsables ont malheureusement le souci de montrer que tout se passe bien, tout est sous contrôle alors que ce n'est pas le cas dans l’ensemble. 

 

Nous ne voulons plus de ce Gabon où lorsque le président ou toute autorité doit effectuer une visite des lieux, c'est à ce moment qu'on embellit les murs.  Tout est beau, propre, chaque chose à sa place. Les agents  travaillent nuit et jour pour embellir les lieux. Alors que dans le quotidien c'est autre chose.

 

Le président devrait imposer à tous les membres du gouvernement et tous ceux qui occupent des postes de responsabilité dans ce pays de se faire soigner uniquement dans les hôpitaux publics. Cela obligerait les tenants des pouvoirs publics à améliorer les plateaux techniques de nos différentes structures sanitaires. Plus tard, cela pourrait être encadré par une loi.

 

Nous allons encore espérer, il reste un an pour la transition.  Certainement le secteur santé sera le centre d'intérêt de cette transition pour le bien-être des populations. Nous voulons la gratuité des premiers soins pour tous les malades.  C'est possible dans ce pays qui dispose de ressources humaines en santé de grande qualité.

 

En passant la promotion des caravanes médicales, animées par les spécialistes étrangers,  n'est pas une solution efficace et durable  pour notre système de santé. Après les consultations de masse, les interventions chirurgicales et la distribution des médicaments pendant une semaine, nous retournons à nos réalités habituelles. Aucun système de santé ne s'est développé sur la base des caravanes médicales.  Cependant l’appui de spécialistes gabonais par des experts étrangers est en soi une bonne chose et même peut-être favorisée au besoin.

 

Nous voulons des équipements adaptés, des médicaments et des formations continues pour le personnel médical et paramédical pour assurer une offre de soins de qualité à nos compatriotes. 

 

 

(*) Neurochirurgienne

Docteur OKOME MEZUI Elyse Denise,  née le 19 novembre 1980 à Oyem.

Première femme  neurochirurgienne au Gabon, et 3e en Afrique Centrale.

Actuellement Neurochirurgienne, chef de service du Bloc-Opératoire  du CHU d 'Owendo et assistante au département de chirurgie à l'université des Sciences de la santé d'Owendo.

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1 Commentaires

Aude - Sep 11, 17:41

Tout à été dit On osé espérer que les un an avenir Seraient dédiés à la santé


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