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Politique

La République des courtisans ou l’art du « kounabélisme » en temps de transition

IMG Léandre Nzue ( au centre en costume ) un exemple de kounabélisme.

Dans un pays où l’histoire politique semble condamnée à radoter, une étrange maladie persiste : le « kounabélisme », ce virus du larbinisme politique qui transforme fonctionnaires, syndicalistes et élites en véritables choristes du pouvoir. Loin d’avoir été éradiqué avec la chute du régime Bongo, il a muté, s’adaptant avec une aisance déconcertante au nouvel ordre. Résultat ? Un remake grotesque de l’adoration du chef, en pleine transition censée marquer la rupture avec les dérives du passé.

 

La levée des couleurs… et des louanges

 

Dernier épisode de cette servitude volontaire ? Une scène absurde lors de la levée des couleurs, ce rituel républicain où l’on honore normalement la Nation. Cette fois, il a surtout servi à honorer un homme, le Président de la Transition, par un « Joyeux anniversaire » chanté en chœur par des fonctionnaires sommés d’exécuter la partition sous l’œil bienveillant de leur ministre. Un mélange des genres tellement grossier qu’il en deviendrait presque comique s’il n’illustrait pas un mal plus profond : la confusion totale entre l’État et l’homme qui l’incarne.

 

Interrogé sur l’étrange cohabitation entre un hymne patriotique et une chanson de fête, un fonctionnaire confie sous couvert d’anonymat : « On s’adapte. Aujourd’hui, on chante pour lui. Demain, on acclamera un autre. C’est ça, la carrière administrative au Gabon. »

 

Grève de la faim et chantage judiciaire : la surenchère dans l’absurde

Mais dans cette course effrénée à la flatterie, certains ont jugé que les chants ne suffisaient plus. En janvier, un groupe d’individus a poussé le dévouement à son paroxysme en entamant une grève de la faim pour « contraindre » le chef de l’État à briguer un mandat. Se priver de nourriture non pas pour dénoncer une injustice, mais pour supplier un homme de rester au pouvoir : du jamais vu en politique !

 

Quelques jours plus tard, un syndicaliste encore plus inspiré a menacé de saisir la justice pour obliger le Président de la Transition à se présenter à la présidentielle, sans aucun fondement juridique. Si l’absurdité était une discipline olympique, le Gabon raflerait l’or.

 

Les anciens courtisans en quête de rédemption

Mais le « kounabélisme » n’est pas qu’une question d’aveuglement idéologique. Il est avant tout un outil de recyclage politique. On retrouve ainsi, parmi les plus zélés défenseurs du nouveau régime, les mêmes figures qui, il y a encore un an, vantaient la « vision éclairée » du régime déchu. Même posture, même rhétorique, seule la photo officielle a changé.

 

Le stratagème est bien rôdé. Se renier en bloc : l’ancien système ? On n’y était que par obligation ! Crier plus fort que les autres : pour faire oublier ses anciennes alliances. Jouer les fervents partisans : pour s’assurer une place dans le nouveau dispositif. Comme le résume un observateur politique : « Ces gens ne croient pas en un homme, ils croient en leur carrière. »

 

CTRI : les gardiens du temple dépassés ?

En mars 2024, le CTRI avait pourtant mis en garde contre l’exploitation abusive de l’image du président. Un an plus tard, cette consigne semble rangée dans les archives de la République. L’adoration du chef est devenue un sport national, au point de tourner au ridicule et d’affaiblir la crédibilité du régime.

Car à force d’excès, même le pouvoir finit par être discrédité. Les flagorneurs d’hier sont ceux qui, demain, porteront aux nues un autre leader. Le problème n’est pas le chef, mais ce réflexe national de soumission aveugle, qui transforme la politique en un théâtre où chacun joue sa survie.

 

Peut-on espérer une rupture avec le culte du chef ?

Le Gabon traverse une période charnière. La transition offre une opportunité unique de refonder la gouvernance sur des bases saines. Mais cela suppose une rupture claire avec les vieilles pratiques. Les institutions doivent être plus fortes que les hommes. Les fonctionnaires doivent servir l’État, pas un individu. La loyauté ne doit plus être une monnaie d’échange pour les opportunistes en quête de promotion.

 

Le défi est immense : comment imposer une culture de la critique et du débat dans un pays où la flagornerie est un ticket pour la réussite ? Tant que la politique restera un espace où l’on brille par la servilité, le Gabon sera condamné à vivre sous le règne perpétuel du « kounabélisme », peu importe le président. En attendant, le prochain anniversaire présidentiel promet d’être un événement grandiose. Reste à savoir si, cette fois, le gâteau sera inclus dans la cérémonie officielle.

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