Alain-Claude Billie-By-Nze, ancien Premier ministre.
Il y a des indignations qui sonnent juste. Et d’autres qui sonnent tard. La récente tribune d’Alain-Claude Billie-By-Nze, ancien Premier ministre, aujourd’hui chef de parti et procureur autoproclamé de la défaillance étatique, appartient incontestablement à la seconde catégorie. Grave, solennelle, juridiquement ciselée, moralement indignée, elle dresse un tableau accablant de l’insécurité, des disparitions d’enfants, de la communication floue de l’État et des risques de dérive autoritaire. Tout y est. Sauf l’essentiel : la mémoire.
Car à lire ce texte, on pourrait croire que l’État gabonais s’est effondré subitement, par accident, un matin d’août 2023. Comme si la faillite sécuritaire, judiciaire et institutionnelle était une invention récente, surgie sans racines, sans histoire, sans responsables.
Or cette situation n’est pas née hier. Elle est le produit d’un système installé depuis les années 1990, consolidé pendant trois décennies, et servi avec zèle par des générations de ministres, de Premiers ministres, de directeurs de cabinet et de hauts commis de l’État. Parmi lesquels, précisément, Alain-Claude Billie-By-Nze.
L’État défaillant, version posthume
L’ancien Premier ministre parle aujourd’hui de : police judiciaire défaillante, renseignement de proximité inexistant, coordination institutionnelle absente et justice fragilisée, communication publique catastrophique, impunité soupçonnée au sein des forces de sécurité. Tout cela est exact. Tragiquement exact. Mais tout cela était déjà vrai lorsqu’il était aux commandes.
Car rappelons un détail que la tribune omet soigneusement : Alain-Claude Billie-By-Nze n’a pas été chroniqueur extérieur du système. Il en a été l’un des visages les plus centraux, occupant les plus hautes fonctions de l’appareil d’État au moment même où ces dérives se sont enracinées.
À quel moment, durant ses années au gouvernement, ces dispositifs qu’il réclame aujourd’hui ont-ils été mis en place ? Où était l’alerte disparition nationale ? Où était le parquet spécialisé ? Où étaient les statistiques publiques ? Où était la protection des témoins ? Où était la tolérance zéro sur les complicités ? La réponse est connue : nulle part.
Le miracle tardif de la lucidité
Il faut saluer, avec un certain humour noir, ce phénomène désormais classique de la vie politique gabonaise : la clairvoyance post-gouvernementale. Une fois sorti du pouvoir, l’ancien responsable découvre soudain que : l’État est faible, la justice est instrumentalisée, la sécurité est défaillante et la parole publique est dangereuse. Pendant trente ans, ces évidences semblaient pourtant invisibles depuis les fauteuils ministériels.
Le plus ironique, dans cette affaire, n’est pas la critique elle-même elle est nécessaire mais la posture. Car en se posant en vigie de l’État de droit, l’ancien Premier ministre oublie de préciser qu’il a été l’un des architectes du cadre institutionnel dont il dénonce aujourd’hui les ruines.
On ne peut sérieusement dénoncer la fragilité de la chaîne pénale sans rappeler qu’elle a été affaiblie par : des nominations politiques, une justice sous pression et une culture de l’impunité, une gouvernance fondée sur la loyauté plus que sur la compétence. Tout cela ne s’est pas imposé par génération spontanée.
Quand la gravité masque la responsabilité
La tribune est grave. Très grave. Mais elle l’est à sens unique. Elle scrute les errements du présent avec une loupe juridique, tout en regardant le passé à travers un brouillard opportunément épais. Or la vérité politique est simple : le régime militaire actuel hérite d’un État déjà profondément abîmé, et cet État porte les empreintes digitales de ceux qui l’ont gouverné pendant des décennies.
Cela n’exonère pas les actuels dirigeants. Mais cela interdit l’amnésie sélective. On ne peut réclamer aujourd’hui une justice indépendante quand on a hier accepté une justice docile. On ne peut exiger la transparence quand on a longtemps prospéré dans l’opacité. On ne peut dénoncer la confusion institutionnelle quand on a participé à l’entretenir.
Le danger de la leçon tardive
Il y a enfin un risque plus profond dans ce type de discours : celui de déresponsabiliser l’histoire. En laissant croire que tout commence avec les militaires, on absout trente années de gouvernance civile marquées par : l’affaiblissement méthodique de l’État, la politisation des institutions, l’abandon des quartiers populaires, la tolérance tacite de l’illégalité. La situation actuelle n’est pas une rupture. Elle est un héritage. Et si le pays est aujourd’hui confronté à l’horreur des disparitions, à la peur, à la rumeur et à la défiance, c’est aussi parce que l’État, longtemps, a cessé d’être crédible.
Oui, il faut exiger des militaires au pouvoir des résultats. Oui, il faut dénoncer toute approximation juridique. Oui, il faut protéger les enfants, les familles et l’État de droit. Mais non, on ne peut pas faire comme si ceux qui parlent aujourd’hui n’avaient jamais gouverné hier. La lucidité est une vertu. La mémoire aussi. Et en politique, la gravité sans responsabilité ressemble souvent à une absolution déguisée.
Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs marqués * sont obligatoires