Junior Xavier Ndong Ndong, président autoproclamé du Conseil national des rites et traditions du Gabon (CNRTG).
Au Gabon, la mort violente hante les quartiers, les familles enterrent leurs enfants et l’État cherche encore ses réponses. Pendant ce temps, certains ont trouvé plus commode d’enfiler le costume du prophète de fortune, micro en main, accusations en bandoulière. La dernière sortie de Junior Xavier Ndong Ndong, président autoproclamé du Conseil national des rites et traditions du Gabon (CNRTG), relève moins de la sagesse ancestrale que du numéro d’équilibriste irresponsable sur un fil social déjà prêt à rompre.
Sous couvert de défendre les traditions, l’homme a préféré pointer du doigt. Togolais. Béninois. Communautés étrangères. Et, pour faire bonne mesure, des Gabonais eux-mêmes présentés comme complices. Le tout sans la moindre enquête judiciaire, sans la moindre preuve, mais avec une assurance mystico-politique digne des grandes heures de la rumeur nationale. À défaut de criminels identifiés, on fabrique des coupables collectifs. Vieille recette, effets garantis.
Ainsi donc, selon le président du CNRTG, les crimes rituels qui ensanglantent le pays seraient l’œuvre d’étrangers et de leurs relais locaux. Une déclaration explosive dans un pays où les communautés ouest-africaines vivent depuis des décennies, travaillent, paient leurs impôts et enterrent leurs morts comme tout le monde. Accuser sans démontrer, c’est déjà condamner. Et dans un contexte de psychose, c’est jouer avec l’allumette au milieu d’un bidon d’essence.
Mais le clou du spectacle reste à venir. Comme si l’accusation ethnique ne suffisait pas, Junior Xavier Ndong Ndong a cru bon d’annoncer, l’air grave, qu’un coup d’État serait en préparation pour déstabiliser le pouvoir en place. Rien de moins. Pas de noms. Pas de faits. Pas de preuves. Juste une prophétie jetée dans l’espace public, comme on jette un sort. Voilà donc le CNRTG transformé en cellule de renseignement mystique, visiblement mieux informée que les services de sécurité de l’État.
Le plus savoureux, dans cette tragédie, reste le parcours de l’oracle. Car il faut le rappeler, sans rire : l’actuel grand prêtre des traditions fut hier un zélé chantre du Parti démocratique gabonais. Longtemps. Brillamment. Puis, par un miracle que même les ancêtres peinent à expliquer, le militant politique s’est mué en gardien du temple. Conversion éclair, initiation express, légitimité autoproclamée.
Le Gabon est sans doute l’un des rares pays au monde où l’on peut, sans agrément officiel, sans cadre juridique clair, sans contrôle institutionnel, se lever un matin et s’ériger en chef national des rites et traditions, parler au nom des ancêtres, accuser des peuples, annoncer des coups d’État et exiger d’être pris au sérieux. Ailleurs, cela relèverait de la chronique psychiatrique. Ici, cela passe en conférence de presse.
Pendant ce temps, les véritables traditions africaines complexes, codifiées, profondément respectueuses de la vie sont piétinées par ceux-là mêmes qui prétendent les défendre. Le sacré devient un cache-sexe politique, la spiritualité un outil de diversion, et la peur un instrument de pouvoir symbolique.
Il devient urgent de poser la question que beaucoup évitent : qui a donné mandat à qui ? Qui a investi le CNRTG de l’autorité de parler au nom de toutes les traditions gabonaises ? Qui contrôle ses discours, ses dérives, ses effets sur la cohésion nationale ? Car à force de laisser prospérer l’ésotérisme institutionnel, le Gabon risque de remplacer l’État de droit par l’État de la rumeur sacrée.
Les crimes rituels sont une tragédie nationale. Ils exigent des enquêtes sérieuses, une justice implacable et une responsabilité collective. Pas des prophéties creuses, pas des accusations xénophobes, pas des sermons politiques déguisés en incantations. Quand le sacré se met à mentir, ce n’est plus la tradition qui parle. C’est le danger qui s’installe.
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