La transition gabonaise aurait-elle découvert une machine à remonter le temps ? Ou mieux encore, une gomme magique capable d’effacer des pans entiers de l’histoire récente ? La débaptisation de l’aéroport international de Port-Gentil, autrefois affublé du nom d’Ali Bongo Ondimba, a déclenché une levée de boucliers digne d’une finale de Coupe d’Afrique des Nations. En première ligne des protestataires : Ali Akbar Onanga Y’Obegue, ex-secrétaire général du gouvernement, qui a crié au complot et au révisionnisme historique, dénonçant un « acharnement » contre l’ancien président.
Le bal des hypocrites
Ce même Ali Akbar Onanga Y’Obegue qui, il n’y a pas si longtemps, entonnait les louanges du régime déchu, découvrant chaque matin des vertus insoupçonnées à Ali Bongo, se drape aujourd’hui dans la toge du justicier. Avec des trémolos dans la voix, il invoque la mémoire collective et exhorte les populations du Haut-Ogooué à un sursaut d’orgueil. L’ironie, c’est qu’on ne l’a jamais entendu fustiger les décisions du chef de l’État lorsqu’il occupait des fonctions gouvernementales. Mais qu’importe, l’histoire s’écrit au gré des humeurs et des intérêts.
Oligui, le parricide politique ?
Ce qui semble le plus insupportable pour Onanga Y’Obegue, c’est que le tombeur d’Ali Bongo ne soit autre que Brice Clotaire Oligui Nguema, un homme issu du sérail, qui a grandi dans l’ombre du pouvoir Bongo. Un ancien protégé devenu « fossoyeur ». Un "enfant de la famille" qui, après avoir été nourri au biberon du système, aurait décidé d’asséner le coup fatal. En bon stratège, Onanga Y’Obegue joue sur l’émotion, en filigrane d’un message simple : « Trahison ! ».
Mais alors, qu’attendait-il d’un coup d’État ? Que l’on conserve précieusement les symboles du passé comme des reliques sacrées ? Que l’on rebaptise plutôt l’aéroport « Ali Bongo Ondimba - Oligui Nguema International » en hommage à cette étrange filiation politique ? Soyons sérieux !
L’épineuse question de l’héritage
Derrière cette querelle de nom se cache une question plus large : comment gérer l’héritage d’un régime qui a dominé le Gabon pendant plus de cinq décennies ? Doit-on sanctifier Ali Bongo ou l’envoyer aux oubliettes ? Le débat est biaisé : les nouveaux maîtres du pays veulent marquer la rupture, tandis que les anciens dignitaires s’accrochent à leurs vestiges.
Mais Ali Bongo a-t-il vraiment besoin d’un aéroport pour inscrire son nom dans l’histoire ? Son bilan, bon ou mauvais, suffit à le graver dans la mémoire collective. Le Gabon ne souffre pas d’un manque de plaques commémoratives, mais d’un excès d’oubli sélectif. En réalité, ceux qui crient aujourd’hui au scandale ne cherchent pas à défendre l’histoire, mais à préserver leurs intérêts.
Alors, au lieu de se disputer le nom d’un aéroport, pourquoi ne pas s’attarder sur les véritables défis du pays ? À savoir : redresser une économie en berne, restaurer la confiance dans les institutions et, pourquoi pas, donner au peuple autre chose qu’un spectacle d’ego froissés et de règlements de comptes sur les réseaux sociaux.
Finalement, débaptiser un aéroport, c’est un détail. Le plus grand chantier, c’est celui de la mémoire nationale. Et pour cela, encore faudrait-il que l’histoire ne soit pas écrite uniquement par les vainqueurs du moment.
Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs marqués * sont obligatoires