La crise qui secoue l’École normale supérieure (ENS) révèle bien plus qu’un simple désaccord entre un syndicat et une ministre. Elle expose un mal chronique qui gangrène nos institutions : le mélange des genres, les luttes d’autorité et l’incapacité à hiérarchiser les priorités. Mais au lieu de résoudre les vrais problèmes, les acteurs de ce feuilleton administratif semblent engagés dans une bataille d’egos, laissant l’éducation sombrer dans le marasme.
Suspension expresse : un excès de zèle ministériel ?
Camélia Ntoutoume-Leclercq, ministre de l’Éducation nationale, a frappé fort – ou trop vite ? En suspendant Ruffin Didzambou, directeur général de l’ENS, pour insubordination, elle a mis le feu aux poudres. L'accusation : avoir pris des décisions importantes, notamment la création de BTS, sans consulter le conseil d’administration ni sa tutelle.
Une faute ? Peut-être. Mais la manière choque. Le Snec-ENS dénonce une suspension jugée arbitraire, illégitime et contraire aux règles. "Seul un décret présidentiel peut révoquer un directeur général", martèle le Pr Hilaire Ndzang Nyangone. Le message est clair : la ministre aurait agi comme un juge autoproclamé, oubliant les bases du droit administratif.
L’ENS : victime d’une double tutelle schizophrénique
Au cœur du problème, un mal bien connu dans l’administration gabonaise : la double tutelle. L’ENS, censée être un établissement d’enseignement supérieur, se retrouve sous la coupe conjointe du ministère de l’Éducation nationale et de celui de l’Enseignement supérieur. Une situation aussi absurde qu’improductive.
Pour le Snec-ENS, c’est simple : Mme Ntoutoume Leclercq n’a rien à faire dans la gestion de l’ENS. "Elle devrait plutôt s’occuper des grèves, des programmes scolaires incohérents et des établissements secondaires en ruine qui relèvent de sa compétence", tacle Ndzang Nyangone. Une pique qui touche juste, tant les problèmes du système éducatif gabonais sont nombreux et urgents.
Et pendant ce temps, le ministère de l’Enseignement supérieur reste muet. Doit-on en conclure qu’il a abandonné son rôle, ou préfère-t-il éviter de se salir les mains dans un conflit qui s’éternise ?
Des journées "école morte" pour une école en panne
Pour marquer leur désaccord, les enseignants-chercheurs ont décrété trois jours "école morte". Un symbole fort, mais aussi un constat d’échec : le dialogue entre les parties semble impossible. Pire, cette paralysie témoigne d’une incapacité chronique des institutions à régler leurs différends sans bloquer le fonctionnement de l’État.
Mais au-delà des revendications syndicales, une question fondamentale reste sans réponse : pourquoi l’ENS est-elle encore engluée dans cette cotutelle incohérente ? Et pourquoi aucun des ministères concernés ne semble capable de définir clairement ses responsabilités ?
Cette crise révèle une vérité dérangeante : l’éducation, censée être un pilier du développement, est devenue un terrain d’affrontement entre intérêts personnels et querelles institutionnelles. Au lieu de s’unir pour relever les défis colossaux de notre système éducatif, nos dirigeants préfèrent se perdre dans des guerres de territoire.
Et les victimes dans tout ça ? Les étudiants, bien sûr. Ceux qui espéraient trouvé à l’ENS une formation d’excellence se retrouvent pris en otage dans un conflit qui n’a rien à voir avec leurs aspirations.
Une réforme ou un éternel recommencement ?
Au lieu de multiplier les décisions unilatérales et les mesures punitives, il est temps pour les autorités de réformer en profondeur la gestion des institutions éducatives. Cela passe par une redéfinition claire des rôles et des responsabilités, mais aussi par un effort sincère pour privilégier le dialogue et l’intérêt général. Sinon, cette crise ne sera qu’un épisode de plus dans le feuilleton interminable d’une éducation nationale en déclin. Et, comme toujours, ce sont les jeunes qui en paieront le prix.
Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs marqués * sont obligatoires